Irène Némirovsky
Née en Ukraine à Kiev en 1903, Irène Némirovsky est élevée dans l’amour de la culture française. Chassée de Russie avec sa famille par la révolution bolchevique, elle séjourne un an en Finlande puis gagne Paris.
À dix-huit ans, elle publie ses premiers contes, puis elle se marie et, en novembre 1929, devient mère. Un mois plus tard paraît David Golder, un roman controversé traduit dans le monde entier et porté à l’écran, qui fait sa renommée. Une dizaine de romans et de nombreuses nouvelles suivront, dictés par l’héritage familial, le souvenir d’être russe, l’étrangeté d’être juive, la volonté d’être française, puis la nécessité de faire vivre son foyer à l’heure des premières lois antijuives. Convertie au catholicisme en 1939, réfugiée en 1940 avec sa famille dans un village de Bourgogne sans avoir pu acquérir la nationalité française, elle est arrêtée en 1942 par la police, puis déportée à Auschwitz où elle est assassinée, sans avoir pu achever Suite française, un roman en cinq parties dont deux seules seront publiées en 2004.
Cette exposition lui rend hommage, portrait d’une femme et d’un écrivain au-delà du succès posthume de son dernier roman Suite française. Reprenant une partie de la présentation réalisée par le Museum of Jewish Heritage de New York avec l’Institut Mémoire de l’édition contemporaine (IMEC) qui conserve la plupart de ses archives, l’exposition présente l’oeuvre d’Irène Némirovsky dans toute sa complexité et révèle son travail acharné jusqu’aux derniers jours de sa vie, à travers un grand nombre d’archives originales jamais présentées au public : l’enregistrement de la voix d’Irène Némirovsky, ses premiers poèmes russes et premiers textes en français, son journal d’écrivain sous l’Occupation, les manuscrits de David Golder et de Suite française…
Une oeuvre et un destin qui témoignent comme peu d'autres, non sans contradictions, du désarroi croissant des Juifs et des étrangers dans la France des années 30.
Mémorial de la Shoah
Niveau 1
17, rue Geoffroy – l’Asnier, 75004 Paris
Tél. 01 42 77 44 72 - Fax : 01 53 01 17 44
[-ImbIr-OstrIY-]
1. OldDream le 03-12-2010 à 11:29:48
Si personne ne dit rien , je m'autorise à ne pas me taire.
Commémorer est bien , se souvenir de son passé est mieux, ne serait-ce que pour éviter de se condamner à le revivre.
Ma récente visite du Mémorial de Caen trouble encore mes certitudes de quelques interrogations, mais tout en les fortifiant.
Défendre inlassablement ou rappeler ces principes de liberté qui font de nous une République demeure la meilleure garantie de ne jamais se sentir étranger dans son propre pays.
Merci donc pour ce rappel [-ImbIr-OstrIY-] !
http://www.memorial-caen.fr/portail/index.php
Harper Regan
Au moment où on s’y attend le moins, on devient vieux.
Elle a quarante ans, un travail honnête, une vie de couple, et un soudain besoin d’entrer dans l’inconnu. Déflagration intérieure. Harper Regan vit sous pression, sous un assemblage composite d’une succession d’oppressions. Pression familiale : son adolescente de fille fait sa crise, son bonhomme de mari a perdu son boulot. Tous ont dû déménager. Pression professionnelle : elle assure seule l’intendance de la maison, et son patron lui refuse un jour de congé pour voir son père mourant. Voyage initiatique d’une quarantenaire déphasée, Harper Regan fait émerger de l’extraordinaire dans les impasses du réel. Rencontres tendres, bouleversements intimes, impulsions libératrices, l’héroïne fait face à l’ordinaire cruauté du banal. Elle fait front, part en guerre contre ses propres résignations, et terrasse les monstres d’un quotidien étouffant. Elle sort grandie, sans violence, attendrie et vivante d’un insolite parcours imaginé par le dramaturge anglais Simon Stephens, né en 1971, formé au Royal Court de Londres, remarqué notamment pour sa pièce Pornography.
Metteur en scène de théâtre et d’opéra en France ou à l’étranger, Lukas Hemleb débute en Allemagne dans les années quatre-vingts. Il travaille entre autres à l’Odéon, à la MC 93 de Bobigny, au Théâtre Vidy-Lausanne, au Burgtheater de Vienne, à la Comédie-Française où il met en scène Le Dindon de Feydeau et Le Misanthrope de Molière. Sensible à « la délicatesse, l’intelligence, l’élégance » de Harper Regan, Lukas Hemleb cisèle en orfèvre une pièce en suspension, « où la crainte du pire affleure toujours, mais où demeure un espoir, une lumière. C’est un texte qui détecte et fait se frotter les plaques sismiques des êtres ». Un univers ni noir ni froid, simplement « salutaire ».
du 19 janvier au 19 février 21 h 00
salle Renaud-Barrault
dimanche, 15 h 00
relâche les lundis et le 23 janv.
[-ImbIr-OstrIY-]
Je ne suis ni poètesse ni écrivain, j’aime simplement l’harmonie des mots. La poésie des siècles derniers m’attire, pour vous la faire découvrir je vous envoie un poème d’Antoine Pol qui s’intitule Les passantes.
Quand je le lis j’ai l’impression que ce poète aurait pu être tchatteur.
Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu'on connaît à peine
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais
A celle qu'on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, preste, s'évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu'on en demeure épanoui
A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu'on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main
A la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulut rester inconnue
Et qui n'est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal
A celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d'un être trop différent
Vous ont, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D'un avenir désespérant
A ces timides amoureuses
Qui restèrent silencieuses
Et portent encor votre deuil
A celles qui s'en sont allées
Loin de vous, tristes esseulées
Victimes d'un stupide orgueil.
Chères images aperçues
Espérances d'un jour déçues
Vous serez dans l'oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu'on se souvienne
Des épisodes du chemin
Mais si l'on a manqué sa vie
On songe avec un peu d'envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre
Aux coeurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu'on n'a jamais revus
Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir
Pour les curieux, un peu plus sur Antoine Pol avec wikipédia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Pol
et bien sûr la version de Brassens.
1. OldDream le 02-12-2010 à 08:29:10
Sibylline, belle est ton idée d'associer poésie et chanson, bien des grands de la chanson française ont aimé souligner harmonie et musicalité des mots.
Un bémol , toutefois, pour les Passantes. A mon sens, Antoine Pol oublie d'associer l'olfactif au visuel.Depuis que j'arpente les rues , vent de face, ma quête s'en trouve plus élargie pour une bien meilleure capture des plus subtiles fragrances féminines.
Par ailleurs, je dois te mettre au parfum pour ce tchatteur auquel tu fais discrètement allusion.Il existe bel et bien !
Il fréquente régulièrement un petit salon sympa #Arts-and-Factory, il poste même sur ce blog avec trop de parcimonie à mon goût. Son pseudo a la particularité de commencer et de se terminer par la même lettre (un s), il évoque aussi le prénom d'un homme à la tête de chou. Tu peux même le joindre directement à harmonia@voila.fr.
Comme tu peux le penser, cet Homme est très demandé au point que certaines femmes, jeunes de surcroît, aime lui pincer les fesses.
Désolé, je ne peux t'en dire plus, discrétion oblige.
Encore merci pour ton post.
2. Sibylline le 03-12-2010 à 22:15:00
Cher OldDream.
Je ne vois pas de qui tu parles ne fréquentant pas votre salon et de plus je n'arrive pas à trouver un prénom qui commence par S et se termine par S. Par contre l'association de la poésie et de la musique vient d'un homme charmant qui en a eu l'idée. Je n'avais pas eu ce réflexe !!! honte à moi. Promis prochain post je ferai mieux
1. Sibylline le 28-11-2010 à 18:55:46
Je suis allée voir Potiche. Je partage à 150% le post de OldDream. J'ai ri. J'ai adoré la prestation de C Deneuve, j'ai détesté Luchini (que j'adore comme acteur). J'ai aimé Depardieu dans son rôle de coco amoureux (alors que je ne l'aime pas habituellement).
J'ai eu l'impression d'être à une réunion syndicalede mon travail tellement la "caricature" était proche de la réalité.
Bravo OldDream pour ce post, il reflète bien la réalité de cette comédie
2. asteria le 03-12-2010 à 10:54:30
Je l'ai vu en avant première.. pour la reouverture de mon cinéma paradisio.. quoique depuis les travaux ... bon. J'ai adoré! vieux reve a tout dit... J'ai bien sur apprécié ce regard sur le changement du rapport homme femme....
Adaptation, mise en scène : Fabian Chappuis
Par la Compagnie Orten / Théâtre 13 (Paris)
Schiller (1759-1805) auteur classique allemand, égal de Goethe, a écrit cette fable sur le pouvoir en 1801. L’histoire se passe en Angleterre au xvie siècle.
Pour le résumé, cliquez sur le lien officiel, difficile de faire mieux, comme pour tout dans cette pièce.
Brillante et respectueuse mise en scène de Fabian Chappuis qui s’appuie sur une traduction quasi contemporaine de l’auteur.
Le texte est puissant, magnifique, violent même.
« C’est du grand classique aux échos contemporains » titrait la gazette locale.
Le pouvoir, le conflit entre l’individu et la raison d’état sur fond de fanatisme religieux.
Non, vraiment, le classique ne se démode jamais !
S’en suit un duel féminin au sommet, un terrible combat imaginé par Schiller, entre deux reines que tout oppose.
Quand le texte va, tout va, au diable les fioritures, comme seul décor une délicate et pudique lumière, pour juste éclairer les mots. Tout au début, une fumée tombe des cintres, rappelant le smog et la froideur des geôles londoniennes.
Plus tard, un effet vidéo, aussi bref que subtil, projette à même le sol une vaguelette déferlant vers le public comme pour le submerger.
Il l’était déjà, ma jeune voisine, adolescente blondinette, était émue aux larmes.
Que voulez-vous, le théâtre sait si bien nous inviter dans son intime promiscuité que, sans nous en rendre compte, nos émotions se laissent aller au débordement.
Il y avait deux Reines ce soir-là, les deux comédiennes Marie-Céline Tuvache (Elisabeth 1er d’Angleterre) et Isabelle Siou (Marie Stuart d’Ecosse), époustouflantes !
Seul ombre au tableau, lors du final, Marie Stuart meurt en martyre et se dénude, de dos, dans la pénombre. Là, j’aurais aimé un peu plus de complicité de la part de l’éclairagiste !
Très bonne soirée.
Publié en 1891, Le Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde a enchanté des générations de lecteurs. Riche d'une multitude d'aspects, le roman se présente d'emblée comme un conte philosophique, moral, social, protestataire, poétique, mais aussi comme un extraordinaire conte fantastique. Un conte noir plein de sève et de rebondissements qui s'articule autour d'un fort propos sur l'Art, l'expression picturale, la conscience de l'artiste, ainsi que sur les manifestations de l'orgueil humain et ce qu'il est convenu d'appeler "les chemins de la perdition". Un conte tellement noir, à vrai dire, qu'il est peu probable qu'un commissaire priseur accepte de nos jours de chaperonner sans frissonner la vente du Portrait de Dorian Gray peint par Basil Hallward.
Mais qui est Basil Hallward ? Hallward se trouve être un peintre talentueux, riche, couvert d'honneurs. Distingué fleuron de l'Académie des Beaux-Arts de l'Angleterre victorienne, c'est un homme pudique, discret, émotif, spontané. Un cœur droit, digne, sincère et conciliant qui se signale par sa grandeur d'âme, sa fidélité en amitié, ses qualités naturelles de compassion. En somme, Hallward ressemble fort peu à son environnement direct constitué, pour l'essentiel, de jeunes lords volages entichés de peinture à la mode et friands de potins cruels. Il incarne une idée quelque peu rigoriste, mais noble et sainte, de l'art pétrie de désintéressement, de vertu, de sagesse. Fort de son idéal de pureté et en pleine possession de sa technique, Basil Hallward se tient dans son atelier. Il manie frénétiquement palettes et pinceaux. Le peintre met la dernière main à un portrait. Il devine déjà intuitivement que ce tableau sera son Grand oeuvre, un prodige de l'art. Et ce prodige n'aura été rendu possible que grâce à l'homme qui se trouve campé devant lui, à quelques mètres de sa toile, et qui a bien voulu poser durant déjà de nombreuses heures. Le secret de la réussite de cette merveille picturale qu'il s'apprête à terminer tient, en effet, tout entier dans la présence inouïe de ce modèle hors du commun. Hallward en est convaincu ! C'est cet être d'exception qui a rallumé son désir de peindre, qui a embrasé son inspiration, qui est l'accoucheur de son génie ! Dès les premières séances de pose, l'artiste a été littéralement subjugué par son modèle. Depuis ce temps, il voue à cette muse incarnée une affection immodérée qui tourne parfois à l'idolâtrie, pour ne pas dire à la passion amoureuse. Cet astre de l'art, ce modèle fabuleux, a pour nom Dorian Gray.
Dorian Gray est un jeune aristocrate, beau et fin comme un dieu, fragile et innocent, "encore tout fleuri des roses vermeilles de la jeunesse et des roses blanches de l'enfance". Dorian Gray rayonne comme un Phébus ardent, superbe et glorieux. A l'évidence, il est à lui seul une parcelle d'harmonie, de pureté, de rareté, de charme, d'élégance. Touché par toutes les grâces, possédant de plus naissance et fortune, ce messie de la beauté n'en est cependant pas moins homme. Il mène grand train de vie. Son jeune âge, sa séduction, son raffinement, ses talents de musicien, lui ouvrent toutes les portes. Le monde semble à ses pieds. Cet excellent fils de famille affiche, par ailleurs, un tempérament fantasque, exalté, capricieux, taciturne et se montre effroyablement précieux et narcissique. Rarement, chez un personnage de roman, on a rencontré une telle effusion du moi. L'égotisme de Dorian Gray dépasse tous les records. Son individualisme est un tison rougeoyant autour duquel dansent et crépitent de temps à autre quelques rares flammèches d'altruisme, quelques rares étincelles d'humanité. Dorian Gray éprouve une puissante répulsion envers tout ce qui est extérieur à lui. Au surplus, l'adolescent est taraudé par un constant désir d'absolu. Dorian Gray veut tout ! Il fréquente assidûment les coteries de l'aristocratie londonienne. Nous sommes dans l'Angleterre des oisifs, des privilégiés et des élégants dont le plus gros labeur consiste à tirer le cordon des domestiques. Dans les salons cossus, les beaux messieurs font la roue et saupoudrent leur "science" sur un ton badin. Derrière l'écran des politesses et des conventions, les dames se livrent à des propos hardis et insolents. La jeunesse dorée se lance à corps perdu dans une originalité huppée et dans une extraversion surplombante. Les dandys, à la recherche d'émotions nouvelles, occupent leur temps à se parfumer, à inférioriser leurs semblables, à mépriser le populaire et la pauvreté, à défendre "l'absolu modernisme de la beauté". En tous lieux prédomine un théâtre de frôlements, d'insinuations, d'ambiguïtés, qui se juxtapose sur un fond vivace de rivalités, de griefs, de méchancetés et de frustrations. La "distance" que met chacun entre "soi" et toute "choses" est, ici, monstrueuse de non-vie et de réification. Toute une société grotesque et dominatrice s'ébroue artificiellement entre rideaux brodés et meubles précieux, même si une authentique culture savante et artistique sert de trépied aux futilités. Nous sommes aux antipodes de l'Angleterre des manufactures et des bas quartiers décrite par Charles Dickens comme nous sommes aux antipodes d'une Angleterre du sentiment social ou encore de la charité chrétienne.
Entre deux soupers fins, Dorian Gray rencontre un certain Lord Henry qui va devenir son confident, et surtout, qui va lui apporter sur un plateau de quoi satisfaire ses appétits extrêmes : une doctrine de la vie tournée vers un hédonisme échevelé et vers une adoration survoltée toute "pancaliste" de l'art et du beau. A lui seul, ce Lord Henry mériterait plusieurs pages de commentaires. Il faudrait certainement autant de mots pour dire combien le personnage de ce gentilhomme anglais enferme d'irritante abjection. Lord Henry est un virtuose de l'éloquence et du paradoxe. Avec un talent rare et une parfaite mauvaise foi, il distribue dans les dîners en ville ses analyses, ses doctes sentences, ses sophismes sur tout et son contraire. Ce Monsieur "Sans-Gêne" chic pourfend les préjugés et profane les idées reçues. Désabusé, suffisant et ricaneur, il se pose en théoricien d'une philosophie du "à quoi bon ?" et du profit de l'instant. Lord Henry possède le génie du verbe mais n'agit pas, ne se compromet pas. Ses propos malmènent l'ordre moral mais les actes de sa vie conservent un conformisme guindé et inaliénable. Il appartient à cette catégorie de pyromanes de la pensée qui incitent à allumer des incendies mais qui ne touchent jamais aux allumettes. Lord Henry se pique, de surcroît, d'être une sorte d'entomologiste qui se livre volontiers à l'observation de ses semblables et à "l'analyse scientifique des passions". Progressivement, ce personnage ondoyant, cet illusionniste pervers, augmente son ascendant sur Dorian Gray qui se laisse peu à peu bercer par son chant maléfique. L'ingénuité et la ferveur juvénile du modèle se métamorphosent en une maturité cynique et destructrice. Lord Henry, tel Méphisto tentant Faust, présente à Dorian Gray les beaux fruits du Bonheur. Il exalte la jeunesse. Il sublime l'art. Il prône la sacralisation de la beauté. Il célèbre les joies du temps présent et les plaisirs faciles libérés de toutes entraves. Dorian Gray est ébloui. Il se voit soudain saisi de vertige à l'idée de vieillir.
Pour obtenir le surnaturel privilège de conserver sa jeunesse intacte, Dorian Gray n'hésite pas alors à confier son portrait au Mont-de-Piété des Enfers. On peut dire qu'avec ce pacte pernicieux, c'est tout l'art de la peinture, mais aussi tout ce qui constitue le cœur de la conscience humaine, qui vont s'en trouver meurtris jusqu'à l'épouvante ! Porté par ses fascinations sataniques et par ses innombrables phobies, Dorian Gray s'abandonne à un immense blasphème. Très rapidement, il est gagné par la licence et la dépravation. Croisé de l'antéchrist, Borgia, Sardanapale, il se souille de crimes et de débauche. Il s'enferme peu à peu dans le train fantôme du nihilisme, de la cruauté, du mensonge, du scandale. C'est le voyage décadent, l'errance hallucinée du prince déchu, zombie dévoyé engagé dans un processus de non-retour.
L'Art, quant à lui, fera éclore ses implacables vérités. La narration se terminera avec la fin aussi tragique que terrifiante du héros. On voit toutes les raisons qui peuvent susciter l'admiration de ce texte d'Oscar Wilde. C'est le roman du dérèglement, de la dégénérescence, de la perdition délinquante, née d'une souffrance, d'une aspiration rebelle à faire voler en éclats un modèle social fermé, un ordre moral castrateur, des mœurs ambiantes oppressives. C'est aussi l'oeuvre d'une exaltation violente et aveugle, fanatique et mégalomaniaque, de l'excellence et du beau. Pour Dorian Gray, l'art devient une préoccupation unique, fantasmagorique, obsessionnelle. Esclave de ses fixations idéalistes, il brise tout ce qui se met en travers de ses rêves. Oscar Wilde nous donne, ici, la radiographie d'une passion de l'art, folle exorbitante, monomaniaque, totalitaire, qui tourne autour d'elle-même, qui phagocyte, qui vampirise, qui ne partage pas. Quoique poursuivant la quête sur-héroique d'un "graal esthétique", Dorian Gray est l'anti-chevalier par excellence. Enfin, on est également fondé à parler, à propos du Portrait, d'un roman "d'avertissement". L'oeuvre vient s'inscrire dans la longue lignée des récits qui depuis les temps les plus immémoriaux émettent des signaux de danger à l'adresse du genre humain, colportent une parole d'alarme sur les périls que font encourir certains choix de comportement, scandent les grands leitmotiv moraux de tempérance, de prudence, de sagesse. En relatant l'itinéraire d'une "âme faillie" (terme de Dante), Le Portrait de Dorian Gray témoigne d'une expérience du défi et de la déconvenue qui fait figure de mise en alerte. Sans conteste, cette "diablerie" d'Oscar Wilde recèle un message de responsabilité qui retentit encore aujourd'hui et pour chacun. L'oeuvre, il faut être juste, ne rencontre pas toujours un égal enthousiasme de lecture. Le roman est à ce point étrange et dérangeant qu'il déclenche souvent d'irrémédiables passions comme de puissantes réserves. Oscar Wilde agace. Certains critiques lui reprochent sa méconnaissance de la peinture, sa superficialité, son maniérisme. D'autres vilipendent son élitisme mondain, son mépris du peuple, ses mœurs libertaires matinées de puritanisme, son goût de l'émancipation frotté de pudibonderie. Que n'a-t-on pas dit, par ailleurs, sur le masochisme, la culpabilité, la nature mijorée d'Oscar Wilde ! Auteur contrariant (et souvent contradictoire), Oscar Wilde se montre trop sulfureux pour les uns et pas assez pour les autres. Face aux télescopages de la critique, Oscar Wilde, dans sa préface au Portrait, a deux phrases qui apportent une touche d'humour salutaire : "la diversité d'opinion sur une oeuvre d'art indique que l'oeuvre est neuve, complexe et vivante. Où les critiques ne s'entendent pas, l'artiste est d'accord avec lui-même". En marge des appréciations disparates, le lecteur trouvera de nombreuses satisfactions à revisiter ce texte unique qui jette mille passerelles entre pensée et sentiment, conscience et idéal, création personnelle et signification artistique, entre frissons et merveilles.
[-ImbIr-OstrIY-]
1. OldDream le 29-11-2010 à 08:54:51
Waouhhhh!
Le commentaire est à la hauteur de l'Oeuvre !
Tout homme qui lira Dorian Gray ne sera jamais plus le même, même un simple mari rêvera de devenir idéal!
Pour l'anecdote , je tombai un jour sur un interview de Jamel Debbouze disant que "Le Portrait" restait son livre de chevet. Oscar Wilde plus attirant que Mélissa Theuriau?
Get Well Soon
Il y a moins de deux ans, Konstantin Gropper, jeune allemand diplômé en philosophie, créait la surprise avec un 1er album magistral, publié sous le nom de GET WELL SOON, sorte de one man band au confluent des bandes originales d’ENNIO MORRICONE et de la pop progressive de RADIOHEAD.
Son second effort, Vexations fait bien plus que confirmer tous les espoirs qu’on avait pu mettre dans ce musicien surdoué ;
Son nouveau disque, truffé de citations : vexations.
Dans Nausea, le morceau d'ouverture de son nouvel album, il cite Sartre, invoque ensuite le parrainage des stoïciens dans la chanson Seneca's Silence, avant d'évoquer le siècle des Lumières dans We Are Ghosts ou bien les cinq étapes de la mort (5 Steps-7 Swords) formalisées par la psychiatre américaine Elisabeth Kübler-Ross…
j'en vois déjà s'enfuir devant cet improbable mélange de pop et d'ambitions philosophico-littéraires…
Vous auriez tort de ne pas vous immerger dans Vexations, le second album du jeune Allemand Konstantin Gropper (27 ans), démiurge du groupe Get Well Soon.
Antony And The Johnsons
ultra sensible et doué au plus haut point pour trousser des pop songs belles à pleurer, Antony Hegarty, propose une nouvelle fois un carnet très intime regroupant ses états d'âme et ses divagations poétiques sur le dernier opus en date d'Antony And The Johnsons, Swanlights.
Au début l'on se dit qu'on ne ressentira pas un frisson aussi fort que lors de la première écoute de son génial album inaugural, et puis comme pour son deuxième disque, on replonge avec bonheur dans ce monde où les mélodies volent dans les airs, où le piano est posé sur des nuages et où les parties vocales semblent émaner d'un gracile elfe perdu sur le sol lunaire.
Même l'extravagante grandiloquence de certains titres comme Salt Silver Oxygen, où les cordes sont vraiment enflammées et les voix très travaillées, réussit à séduire et à sembler presque sobre, sans doute grâce à la sincérité du chanteur et songwriter.
La qualité des émotions procurées par cette nouvelle collection de chansons d'Antony And The Johnsons est particulièrement élevée. Ecoutez The Spirit Was Gone, Ghost, The Great White Ocean, I'm in love, Christina's farm pour vous en convaincre... et replonger vous aussi en un quart de seconde !
(Youtube bloquant les vidéos, on peut aussi l'écouter là)
1. dilettante le 01-12-2010 à 22:28:48
Mélodies pathétiques, héritières des "lamento" exprimant la tristesse, la plainte
Voilà le site d'Antony And The Johnsons :
http://www.antonyandthejohnsons.com/
Vous trouvez sur youtube la plupart de ses compositions dont le célèbre poème d'Edgar Allan Poe : The lake.
Dans ce dernier CD, Fletta :un duo avec Bjork ...
http://www.youtube.com/watch?v=LpgDG9pLGaQ
1. GrainDeSel le 02-12-2010 à 08:34:59
Et en plus elle est belle !
Vraie ta comparaison avec Bjork.
Damien Saez : J’accuse
J’accuse de Damien Saez, un tel talent, cela pose problème. En cinq albums, conjuguer intégrité et sincérité avec autant de brio reste une énigme. J’accuse. Et puis, survivre au ténébreux Varsovie, est juste inconcevable.
Onze ans qu’on le suit, ce sale écorché vif. Jamais il ne nous aura déçus. Pire, il nous en donne toujours davantage. Une écriture qui ne cesse d’étonner, fluide et incisive. Le jeune (et con) a bien vite cédé la place au poète maudit.
Raillé, détesté, Saez ne laisse pas indifférent. Ses vieux tics anars peuvent faire sourire. Sa voix, agacer. Le nouvel album n’échappera pas au procès. On y retrouve la fougue adolescente de Jours Étranges, les enivrantes compositions de Katagena et la noirceur adulte de Varsovie.
« J’ai l’âme de l’enfant et la mémoire du vieux » confiait Damien Saez.
Une nouvelle fois, J’accuse bataille entre jeunesse révolutionnaire (Les cours des Lycées) et âge de raison (Les Printemps). Une scission essentielle. En constante recherche de vérités, Saez interroge notre société malade et malmène le sentiment d’Amour. Le style est immuable (engagé pour les uns, démago pour les autres), mais il a le mérite de pointer du doigt, sans se soucier du qu’en dira t’on.
Un tel courage, j’accuse !
Moins ambitieux qu’un Varsovie, le nouvel opus sonne brut et salue le retour d’un artiste définitivement « rock », dans l’attitude et le discours. Jamais coquille vide, l’album interpelle la société de consommation, quitte à encore agacer. Le disque sorti, Saez se retrouve bien malgré lui au cœur du débat. Une femme dans un caddie, un titre : J’accuse. Une lecture d’image évidente, de prime abord. Pourtant, l’artiste est mis à l’amende et rentre bon gré mal gré dans les jeux du cirque médiatique. Un exercice dans lequel l’homme remplace l’auteur, défendant son outil de travail avec une répartie touchante et cinglante. Mais dans ses joutes verbales, la musique n’a plus le droit de citer.
1. GrainDeSel le 02-12-2010 à 08:44:47
Notre ami Santal devrait aimer.
Désolé , je dois quitter, des courses au supermarché.
Le peuple roi
Un jour se lève, grisaille quotidienne sur le terrain vague.
Des étoffes chamarrées claquent au vent à un fil
Rappelant le soleil de plages dorées, de vagues
Dans ce désert coincé entre les bâtiments tel une île.
Des chiens aboient, un feu mourant fait encore le roi
Au milieu de caravanes rouillées, de tables, de restes
De repas, de vin qui colle encore sur les verres étroits
Et déjà des enfants courent dans cet univers qui empeste.
Les femmes s'affairent, préparent déjà les bagages
Et les hommes, basanés, fiers et assommés dans leur café
Discutent bruyamment, de la partie de boules ou du voyage
Qui les emmènera vers leurs paysages de toros endiablés.
Le temps des camps s'achève à la lisière de ces déserts urbains,
Désespérance d'un peuple roi, nomade par amour de la vie,
Peuple extra terrestre aux croyances d'un destin souverain
Et le vent les porte une fois encore vers les Saintes Maries.
Santal
1. OldDream le 29-11-2010 à 08:19:47
"....Avant de repartir pour un nouveau voyage
Vers d'autres paysages sur des chemins mouvants
Laisse encore un instant vagabonder ton rêve
Avant que la nuit brève le réduise à néant....
C'est le chant des errants qui n'ont pas de frontière
C'est l'ardente prière de la nuit des gitans."
Ton sujet , fort bien écrit, colle à notre actualité et à notre réalité. Dans une société dans laquelle personne ne se sent responsable, le bon vieux réflexe, de pointer du doigt la différence, a vite fait de trouver des boucs émissaires parmi les voleurs de poules.
3. asteria le 02-12-2010 à 11:13:38
peuple libre et fier! où est donc passée la liberté de nos jours. bel écrit.
4. Santal le 02-12-2010 à 19:58:33
merci pour vos commentaires
en effet , où est elle cette liberté pour laquelle nos grands parents et tant d'autres se sont battus?
mes 4 grand parents étaient des étrangers (j'ai commencé à écrire leurs histoires que je vous livrerai) et ils avaient choisi la France car elles représentaient le pays de la liberté, ils doivent se retourner dans leurs tombes...
en effet ça n'est pas nouveau hélas OldDream, les sociétés dont les valeurs fondamentales s'écroulent tendent le doigt vers des minorités pour mieux les désigner comme coupables de tous les maux, sans même penser à regarder à leur tête...
Je ne crois pas au hasard et, lorsque je suis passée devant l'affiche du
concert, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que je devais convier mon
"vieil" ami à cet événement, que je croyais unique mais qui je l'ai
appris plus tard, c'était déjà produit.
Je n'y allais pas en tant que
fan puisque, je dois l'admettre, je connaissais à peine et mon esprit
de contradiction m'incitait à croire que je n'aimerais pas.
Dans
cette aventure, ma récompense devait être les petites étoiles qui
brillaient déjà dans les yeux de celui qui devait m'accompagner et je
m'étais préparée à passer une soirée un peu douloureuse pour mes
oreilles difficiles et peu habituées à ce curieux mélange de sons.
Et là, dès le premier morceau, ce fut un choc.
Outre
le fait que Dweezil Zappa est plutôt beau gosse (ce qui ne gâte rien),
il est aussi un modèle de gentillesse et d'humilité. Un respect total et
une vénération pour son père qu'il accompagne respectueusement grace
à la magie de la technologie qui le rend présent sur un écran situé au
fond de la scène.
Des mélanges de sons, des solos incroyables, des musiciens excellents
font de chaque chanson une merveilleuse surprise, un truc qui vous
laisse ébahi, sûr que la prochaine sera forcément moins bonne ... Mais
non, ça continue, inlassablement pendant deux heures pour amener un
public à finir debout, comblé et gonflé pour les 50 prochaines années de
vénération zappatique.
A tel point que le fils n'arrive pas y croire lui même et photographie
l'instant,un peu comme un enfant surpris d'être tant aimé.
Voici le lien réclamé et attendu par le commentaire de OldDream :
Mertseger
1. OldDream le 02-12-2010 à 08:41:07
Je conçois que la Déesse du Silence reste subjuguée par le beau gosse, je déplore qu'elle zappa sur le lien qui pouvait nous faire découvrir la virtuosité du guitariste.
Magnéto, serges-!
Barbara
Point d'arrêt
Elle avait douze ans. Cet âge d’entre deux, ce rien qui sépare les mondes, ceux de l’enfance et du suivant, encore vide de sens, inconnu, étranger, celui qui la conduirait à mieux apprendre la vie et sa réalité ! Elle était décalée pourtant, toujours baignée dans la pure enfance dans sa bulle protégée, bercée de vie sucrée et d’histoires romanesques. Une sorte d’ange en somme quoique les anges n’aient pas de sexe… et encore, le sien étant alors le dernier de ses soucis. Elle avait l’âge des prémices de ses pairs mais n’en avait pas la mesure, toute encore absorbée par ses jeux d’enfant, faits de baignades bruyantes ou de mondes de poupées.
Son corps quant à lui consentait à cette féminité naissante sans qu’elle ne s’en soucie, se disant qu’elle avait bien le temps de vivre ces affaires de femme qu’on lui cachait généreusement !
Et puis il y avait ces fêtes, celles des grands rassemblements familiaux qui rythmaient gaiement ses années de plein bonheur.
Quand tout le monde était là… elle était rassurée et certaine de ce qui allait se vivre. Ils avaient inventé leur propre jeu… avec leurs propres règles et tout cela la confortait dans son état de pure enfance bénie.
Les grands dissertaient sur le monde bruyamment. Certes, on pouvait y percevoir des dissonances mais l’ensemble pourtant paraissait harmonieux et cet espace ne leur était de toute façon pas autorisé, juste peut-être quand leur jeu devenait illégal pour aller se plaindre auprès des ces parents, tous confondus, joyeux et bruyants.
La place des enfants était plus loin mais elle leur convenait, leur laissant investir tout l’espace sans que rien ne vienne perturber leurs jeux !
Elle était « une moyenne » au milieu de ses cousins, dans cet âge de rien qui lui convenait.
La toussaint à ce moment-là était une fête joyeuse, n’ayant, dans cette famille nombreuse, enterré aucun mort récemment. Les repas immuables prenaient donc une tournure festive même en pareil moment de l’année.
Tradition respectée ces jours gris annonçant l’hiver qui ne l’atteignait que pour savourer par avance, ses pas crissant dans la neige et ses rêves d’esquimaux et de banquise.
C’était ce jour-là.
Elle avait comme à l’accoutumé du se plier à la règle d’alors que déjà elle détestait, mettre son habit du dimanche, un ensemble rouge qu’elle avait l’impression de porter depuis des années qui la grattait et lui donnait cette sensation désagréable d’être déguisée.
Après un repas gai et pétillant, dénotant toute cette constance figée et rassurante, ils se décidèrent enfin à recommencer leur jeu favori en ces lieux, avec ses règles précises.
Deux équipes qui se voulaient équitables mais ne le seraient jamais, des revus enroulées savamment et puis un interminable jeu de cache-cache facilité par la configuration même de la maison où toutes pièces communiquaient entre elles, ce qui l’émerveillait toujours. L’espace était sans limite, de la cave sombre au grenier, d’odeurs égales en ce lieu… d’encre et de plomb, de papiers entassés qui rappelaient l’atelier où elle aimait voir son père se laver les mains avec ce savon spécial dont elle ne perdrait plus jamais ni la texture ni la senteur.
Tout l’espace leur était octroyé dans ce moment… les grands refaisant inlassablement le monde jusque dans la nuit tard.
Ainsi ils évoluaient dans le noir à se faire peur et rire aux éclats.
Elle entreprit de trouver une cachette sûre pour éviter les pièges et prendre les coups de journaux savamment roulés la première comme ce fut souvent le cas… étant tout simplement moyenne au milieu d’eux. Ni l’aînée, ni la plus jeune… juste moyenne.
Elle choisit pour son refuge le grenier, à peine éclairé des lumières du dehors dans la nuit de brouillard de ce jour de fête.
Y pénétra sans crainte, connaissant les lieux, se faufila silencieusement entre les tiroirs de plombs entassés et fila jusqu’à la pièce du fond, tout aussi encombrée. La lumière venait de gauche, d’une lucarne de grenier donnant sur un lampadaire extérieure. Elle était suffisante et faisait scintiller le moindre objet métallique. Là, derrière la porte arrêtée, sûre de son effet de surprise, elle retenait sa respiration pour mieux entendre d’éventuels pas de l’un d’eux et se préparait avec délice à l’assaut. Conquérante et joyeuse elle attendait ainsi, sans hâte. Cette fois peut-être ferait-elle partie des gagnants.
Elle entendit des pas, et s’interdit tout mouvement. Il arriva lui, l’aîné, de six ans son aîné, qui ne s’adonnait plus à ce jeu depuis quelques temps, délaissant ses cousins ainsi réunis pour ses cahiers et livres remplis de formules incompréhensibles et qu’il ne fallait plus déranger. Sa chambre leur avait été interdite, les choses sérieuses ayant remplacés dans sa vie les jeux de cache-cache aux règles précises.
Il avait franchi le guet vers l’autre rive, celle qui lui avait valu d’être admis à la table des grands pour débattre du monde.
Il arriva donc et elle se dit que décidément cette année encore, elle ferait partie de l’équipe des perdants puisque si facilement il l’avait rejointe.
Il se tint derrière elle sans mots dire.
Et sans qu’elle n’ose le moindre mouvement ni la moindre réflexion, son statut d’aîné à lui, la ramenant à sa petitesse et à sa naïveté.
Il commença à se coller de tout son long. Elle se raidit, ne sachant que faire et que dire, ne comprenant rien.
Elle se tint donc dans sa propre immobilité sans comprendre encore que les règles précises et simples de leur jeu familial allaient brusquement être modifiées par lui, et ce, à tout jamais !
Il entreprit de chercher ce qui déjà ressemblait à des seins sous son pull qui continuait de la gratter. Sa tête à elle bouillait et son cœur battait sans que plus rien, elle ne contrôle. Elle sentait derrière son dos, son souffle à lui devenir lourd. Cette sensation lui était désagréable sans que pour autant, elle ne risque aucun mouvement, totalement pétrifiée dans l’instant. Elle entendait au loin les cris de ceux qui étaient pris plus bas, plus loin dans la maison mais qui n’arrivaient décidément pas jusqu’à elle, dans sa cachette sûre et introuvable.
Il continua son exploration alors que son corps à elle, raide et figée, aurait du lui faire comprendre à elle que ce n’était pas la règle claire qui avait été établie.
Il entreprit de l’écarter alors qu’elle vacillait tant sa tête et que son entier « elle » se sentait égaré, perdu. Il la fouilla ainsi, son intime vierge d’elle-même encore, vierge de tout contact autre que celui de son gant de toilette à l’heure du bain.
Elle sentait ses doigts la sonder, l’inspecter, l’écarter alors que son autre main était toujours affairée à ses seins. Sa tête a elle continuait d’exploser sans que rien elle ne comprenne. Tout cela lui paru interminable et elle se demandait simplement à quel moment on viendrait la libérer de sa cachette bien trop sûre à présent. Pourquoi tardaient-ils tant ?
On vint enfin, ce qui eu pour effet immédiat d’arrêter son ballet de mains pressantes et de lui rendre, à elle, son corps ainsi distordus, sans pourtant lui rendre la clarté de ses pensées et la candeur du jeu aux règles établies et claires.
Elle n’osa aucun regard, mue dans son silence, honteuse et glacée, se demandant simplement ce qu’elle venait de vivre. Et puis il fallait jouer la revanche, l’équipe des faibles ayant réussi cette année-là à remporter le premier combat, sa cachette à elle étant trop sûre !
Elle n’avait plus envie de jeu, plus envie d’entendre les grands qui riaient aux éclats pour dieu sait, quelle bêtise distillée. Elle voulait quitter la fête à présent, mais il fallait jouer la seconde manche.
Elle se réfugia alors dans un lieu moins sûr que le précédent, persuadée que là, il ne viendrait pas, lui, cet aîné au nouveau visage, à jamais modifié. Mais c’était sans compter sur la troupe toujours joyeuse, qui renforça encore son effort pour dégoter des lieux inatteignables. Et comme cette cachette-là était sans doute la plus évidente, personne ne vint la trouver, sauf lui évidemment.
La clarté dans cet espace-là, venait de gauche encore et l’odeur de propre et de savon envahissait l’espace. Les grands étaient presque à portée, et elle pouvait distinguer qui parlait et même tout ce qui se disait. Elle aurait pu crier, peut-être, mais elle était moyenne… juste moyenne et elle avait douze ans.
Encore il recommença haletant, à sonder son intime et ce fut tout aussi désagréable, insupportable pour elle. Le moment lui paru tout aussi interminable que le précédent et la replongeait dans cet état de non sens total, qu’elle avait ressenti quelques minutes auparavant.
Elle fut libérée sans doute. Elle a oublié comment et pourquoi mais elle n’a jamais réussi à oublier la clarté de l’espace et la sensation du moment.
Tout d’elle alors a simplement basculé, la laissant seule dans sa totale incompréhension. Le jeu n’aurait jamais plus les mêmes règles. Et d’ailleurs, elle n’y joua jamais plus.
Parfois, grandissante, elle regardait ce cousin entreprenant. Il était de bon ton alors de se laisser moucher par l’aîné quand le moment venu, elle eut, elle aussi, place à la table des grands pour refaire le monde.
Elle se tût à chaque fois et les images à elle revenaient.
Elle entreprit plusieurs fois de dire bien plus tard, l’entier de ses mots. D’abord à d’illustres étrangers, pensant qu’elle se libérerait de ce moment qu’elle n’avait pas désiré. Et puis plus proche, elle se confia. Enfin !
Mais pourtant ne lui dit jamais rien à lui, sa sensation d’alors, les fêtes de famille ayant recouvrés ce silence des maux qui font mal.
Jusqu’à ce jour, où elle décida de lui rendre à lui, cette blessure de petite fille qu’elle ne voulut plus taire. Le jeu, par eux inventés, avait changé de règles cette nuit-là, une nuit de douceur familiale dans cette maison où elle s’était sentie tellement protégée.
Heureusement pour elle, elle a connu d’autres mains que les siennes, cet autre qui s’était senti tous les droits, enfreignant ainsi les règles établies et claires. D’autres mains tendres et caressantes qu’elle a désirées et aimées et auxquelles elle a consenti parce que libre, elle les avait choisies.
Il n’a pas tout souillé mais dans ce monde d’entre deux, il l’a laissé ainsi errer pendant tant d’années, et elle ne l’en remerciera pas.
Simplement, elle voulait le lui dire sans rien rajouter.
Elle avait douze ans et des rêves d’enfant plein la tête. Simplement !
Zoe-Vie
1. OldDream le 29-11-2010 à 09:18:53
"....Un beau jour, ou peut-être une nuit,
Près d'un lac je m'étais endormie,
Quand soudain, semblant crever le ciel,
Et venant de nulle part,
Surgit un aigle noir..."
Très beau texte , posté le jour de la Journée de la Jupe, ton tableau s'en trouve expliqué.
La chanteuse nous fascinait , nous étions trop jeunes pour vraiment savoir pourquoi, elle était là avec Ferré, Brel, Brassens, au milieu de Led Zeppelin et de Ten Years After , de Joan Baez et Dylan. Je lus plus tard "Il était un piano noir..".
2. artscenik le 02-12-2010 à 21:34:35 (site)
Désolé, chère Zoe-Vie, j'avais tronqué ton texte par une fausse manœuvre.
Promis, je vais essayer de ne pas recommencer.
Merci pour tes textes.
M. Kissine
1. chricaillou le 28-11-2010 à 16:27:00 (site)
On l'aura reconnu... Le titre original étant "les animaux malades de la peste", le titre pastiché est libellé : "les hommes malades de la télévision.
Salut à La Fontaine, je rends à César...
2. Santal le 30-11-2010 à 01:24:54
C'est Excellent, sincèrement, d'une écriture raffinée qui met le doigt sans complaisance sur un des grands maux de notre temps, en un mot j'adore
3. asteria le 02-12-2010 à 11:17:10
coucou toi... j'aime ta plume.
Otango
Créé en Argentine en 2004, le spectacle Otango s'installe en France après une tournée Européenne, Otango démarre sa tournée française le 17 novembre qui l'amènera jusqu'à Toulouse le 6 décembre.
L'histoire démarre en 1909. Du vieux café au Paris des années folles, de ce bal d’après-guerre au présent qui l’accable, un homme parcourt sa vie, à la recherche de l’amour perdu. Mais de ces souvenirs écorchés, il ne reste que sa folie. Retrouvera t-il un jour celle qu’il a tant aimée ?
Conte d’amour en deux actes, six tableaux et plus de soixante costumes originaux, Otango retrace l'histoire de cette musique et danse de légende qu'est le tango. Venus Buenos Aires, dix danseurs renommés, cinq musiciens et deux chanteurs se produiront sur scène. Les chorégraphies sont signées Adrián Veredice et Alejandra Hobert, qui dansent dans le show, sous la direction artistique d'Olivier Tilkin.
« Renaissant sans cesse de ses cendres, le tango sera toujours ce chant d’âmes en peine, ce sexe dansant, ce phoenix païen qu’idolâtrent les fous et les ivres d’infini, et qui aura à jamais le talent ultime d’émerveiller là où jamais on ne l’attend... » Olivier Tilkin
Mythifié par Gardel, sublimé par Piazzola, le tango est un art de vivre, l'essence de tout un peuple, l'âme profonde de l'Argentine.
Puisant aux sources tumultueuses de son histoire, Otango dresse le portrait présent et son devenir, d'en magnifier les sentiments les plus intimes, comme les plus violents.
Frissons !
Ma note personnelle : Spectacle de qualité, de très bon danseurs, musiciens, il manque peut-être l'intimité d'une petite salle ou l'on pourrait ressentir et apprécier de plus près la force, le caractère, sensualité de cette danse et l'envoutement de la musique. J'ai préféré la seconde partie du spectacle où il y a l'évolution de chaque danseur et les musiciens plus présents scéniquement.
Le site du spectacle : http://www.otango.com/
1. OldDream le 26-11-2010 à 08:22:16
Magnifico, cual sensualidad !!!!
Quel plaisir de lire ton article et de ne pas me sentir ringard à me passionner de tango, et de flamenco también! Si j'étais Ministre de l'Education, j'imposerais la danse dès la maternelle ne serait-ce qu'en pédagogie de détour.Diana Piazzolla a écrit "Astor" sur la vie passionnée de son père,Coup de coeur 2003 de l'Académie Charles Cros.Un regret , j'avais la possibilité de voir ce spectacle tout tout près de chez moi.
Muchas gracias Señorita y buenos aires !
2. Klimty le 27-11-2010 à 16:05:59
Merci ! Je me sens moins seule du coup.
Quelle belle idée que la danse et la musique fassent parties d'un quotidien dès le plus jeune âge. Je vote oui !
Le Flamenco est une merveille aussi, j'ai croisé un professeur passionné, il y a peu de temps sur Paris, il m'a parlé de longues heures de sa "maman" (l'oeil vif et brillant) qui s'appelle Lia Nanni . Elle enseigne le Tango Argentin et est Présidente de l’Association « Les Amis d’Argentina »
Elle cite : "l'homme et la femme se mettent en valeur rituellement. L'un a besoin de l'autre, c'est un dialogue."
http://www.evene.fr/theatre/actualite/tango-danse-argentine-1733.php?p=2
1. OldDream le 26-11-2010 à 08:28:39
Merci pour la découverte de ce gentleman sous influences qui garde avec élégance toute sa personnalité.
Commentaires
1. Santal le 02-12-2010 à 19:52:35
j'avance dans les années, ce texte , comme "le peuple roi", ont été écrit en 2003, la première année où je me lance réellement à écrire des textes à forme poétique (je n'arrive toujours pas à qualifier mes propres textes de "poèmes").
Ce sont donc mes premiers textes structurés, non pas que je cherche par cet aveu une quelconque clémence ou commisération.
J'écris à cette époque sous le pseudo du "barbare crotté", qui est lié à un forum que nous avions créé à la suite d'un salon de tchat, un peu comme ici, je suis le barbare de service, avec tout ce que ça implique, et j'ai aimé l'image du poète crotté dans "Angélique", vous voyez la pauvreté de mes références intellectuelles, vous comprenez mieux le pourquoi du barbare... rires. J'ai aimé l'image "crotté" en réponse à des pseudos intellos, sophistiqués méprisants, que je croisais (et croise) souvent sur des salons ou dans des forums.
2. chricaillou le 03-12-2010 à 16:18:18 (site)
Terrible expérience que ce voyage au bout du coeur...
3. OldDream le 09-12-2010 à 08:57:50
A mon avis t'as frôlé le CLAC, un comble pour un peace-maker.