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Titre du blog : Arts scéniques et vieilles dentelles
Auteur : Artscenik
Date de création : 03-10-2010
 
posté le 02-12-2010 à 19:26:32

L’infarctus

L’infarctus

L’homme fort, l’homme pressé, l’homme qui n’a peur que du CAC40,
Cellulaire à la poche, portable ouvert sur le siège de l’Audi 60
Calculant, en roulant, les bénéfices de toutes ses rentes,
Sans même le temps d’un regard sur les belles passantes.
Rien ne manque à son style affairé, la panoplie est complète,
Son attaché case dort à ses pieds, plein de ses trésors,
Le costume, la cravate, le sourire méprisant, jusqu’à la cigarette…
Négligemment tenue par une main nonchalante, au dehors

La crampe à la main gauche se fait insistante ce soir,
La pression sur le torse, le point au milieu du thorax,
Présent depuis quelques jours, mais si dérisoire
Face à tous ces dollars, tout cet argent placé en Saxe.
Il fait chaud dans cet habitacle de luxe enfumé
Un doigt fébrile desserre une cravate étouffante
Les mains se sont faites moites sur le volant de cuir gainé
Et les rumeurs de la circulation deviennent angoissantes

Le feu passe au vert, tiens, la voiture n’avance pas.
La rue s’est faite floue, le monde ne bouge plus.
Ma tête tombe, mes mains, mes pieds n’obéissent pas
Le monde devient étranger, le monde ne m’obéit plus
J’ai une folle envie de rire, s’il me restait assez d’air.
Les toxines de l’infarctus envahissent mon cerveau
Comme une drogue brûlante, lui commandant de taire
La mort inéluctable qui se produit dans ce berceau.

Il fait noir, il fait froid, plus aucune sensation
Que celle de ma peau qui tremble, hérissée
Sais je seulement où je suis, en quelle position
Et pourquoi ce tunnel de lumière tant vanté
N’apparaît-il pas, suis je mort ? pas encore ?
Les gens que je ne vois plus vont-ils fouiller ?
Saccager, piller, s’emparer de mes trésors ?
Seront-ils assez hideux pour profiter de ma mort ?

De vagues lumières, de vagues bruits de sirènes
Tout arrive à moi comme d’un lointain brouillard
Profond, épais et dense, comme le chant des sirènes
Comme si mon corps était enfermé dans une armoire.
Des chaos, des claquements, de portières, de métal,
Les lumières se font vives, leurs pas résonnent
Dans des couloirs au blanc aveuglant, si pale.
Je continue ma spirale létale, rien ne m’étonne.

M
on esprit regarde ce corps, élégant, souillé
Cette bouche molle qui a vomi sur le costume,
Ces yeux sans expression, presque éteints, voilés
Comme un poisson sur un étal, ces yeux posthumes.
Mon esprit refuse cette vision, pas moi, se rebelle.
Tout émerge, tout de la vie repasse, tout me hante,
Le leitmotiv résonne, pas moi, reviens comme un appel,
Moi je suis l’homme fort, l’homme qui n’a peur que du CAC40,

Santal
Le Barbare Crotté,
Marseille, 2 avril 2003
 

Commentaires

OldDream le 09-12-2010 à 08:57:50
A mon avis t'as frôlé le CLAC, un comble pour un peace-maker.
chricaillou le 03-12-2010 à 16:18:18
Terrible expérience que ce voyage au bout du coeur...
Santal le 02-12-2010 à 19:52:35
j'avance dans les années, ce texte , comme "le peuple roi", ont été écrit en 2003, la première année où je me lance réellement à écrire des textes à forme poétique (je n'arrive toujours pas à qualifier mes propres textes de "poèmes").

Ce sont donc mes premiers textes structurés, non pas que je cherche par cet aveu une quelconque clémence ou commisération.

J'écris à cette époque sous le pseudo du "barbare crotté", qui est lié à un forum que nous avions créé à la suite d'un salon de tchat, un peu comme ici, je suis le barbare de service, avec tout ce que ça implique, et j'ai aimé l'image du poète crotté dans "Angélique", vous voyez la pauvreté de mes références intellectuelles, vous comprenez mieux le pourquoi du barbare... rires. J'ai aimé l'image "crotté" en réponse à des pseudos intellos, sophistiqués méprisants, que je croisais (et croise) souvent sur des salons ou dans des forums.