[Après avoir fait un long périple dans les îles Loyauté, dont Ouvea et Lifou (cf. photo), nous étions revenus parcourir la Grande Terre, plus sauvage, du sud jusqu’à la Province du Nord près de l’équateur, mais en suivant au plus proche la côte nord particulièrement peu aménagée. Les routes, quand elles existaient, étaient goudronnées juste de part et d’autres des cases des chefs et entre chaque tribu, des pistes plus ou moins ravinées. Mais souvent les cases étaient très retirées du bord des pistes, invisibles.]
Il était là assis sur son gros sac de marin en toile verte, l’air perdu, flottant dans sa combinaison orange de marin. Sans bouger, sous le soleil tropical, il attendait, seul dans le décor irréel d’une mine de nickel abandonnée. Des tas, des monceaux, des empilements de caillasses à perte de vue (à perte d’amortisseurs aussi !), avec des bouts de ferrailles rouillées qui traînaient un peu partout, des pelleteuses, des scrapers abandonnés apparaissaient aux détours de la piste défoncée. Des pierrailles, des trous d’eau croupie, verdâtre, du soleil, beaucoup de soleil, la vieille Fiat cahotait lamentablement. Une main de bananes finissait de trop mûrir dans la glacière inutile et nous le faisait sentir.
Lui, immobile, attendait seulement qu’on s’arrête. Comme on pensait être au milieu de nulle part, on l’a chargé, on n'abandonne pas des gens dans ces lieux-là. J’ai pris le gamin sur les genoux, les femmes se sont serrées derrière avec lui et son gros sac. Et on est reparti. Il allait dans une tribu, plus loin, plus loin…
On avait remarqué dans nos différents contacts locaux qu’il était inutile de parler temps et distances, c’était « avant », « plus loin » ou « bientôt »…
Il nous a appris qu’il travaillait sur un navire et qu’il devait y revenir rapidement pour repartir avec le chargement de minerai. Au bout d’un moment, il a voulu savoir ce que faisaient deux couples de blancs avec un gamin dans ce coin reculé de la Grande Terre. La réponse était simple : on visitait. On lui a raconté qu’on était attendu dans une tribu des montagnes qui devait nous accueillir le soir même. Lui nous a parlé de la flore, des animaux de la région. Il avait un vocabulaire étonnant avec des mots précis, des tournures locales amusantes et l’accent traînant des tribus du centre. Il a parlé de l’histoire de sa tribu et du « Grand Voyage » (l’arrivée sur la Grande Terre) et le peuplement des montagnes par la poussée des nouveaux arrivants, ce qui expliquait l’évolution des habitudes alimentaires, le passage du poisson à la viande animale, mais sans aucune notion de datation évidemment, la légende… une légende sans date : c'était « avant », de la même manière que les aborigènes australiens, ses cousins. Il a évoqué, entre autres, les fougères arborescentes qui étaient une des espèces endémiques de l’île. « Endémique » ! Toujours l'usage étonnant d'un vocabulaire peu commun.
Le gamin s’est remis à parler, en fait il parlait pratiquement sans arrêt, et voulait savoir si on allait manger du « bougna » ce soir et que lui n’en voulait pas à cause des chauves-souris.
On a ri.
Et la conversation a dérivé sur la cuisine locale. Le stoppeur a rassuré le petit, le « bougna » pour les blancs n’était que rarement préparé avec des « roussettes » (sorte de grandes chauves-souris), que cela était un mets de choix que les Mélanésiens se réservaient.
Bien sûr, les femmes ont voulu savoir la préparation des bestioles dans le « bougna ».
« C’est simple, a-t-il dit, on épiaute et on éviscère les bêtes prises la nuit d’avant dans des filets, elles sont mises à cuire avec les bananes plantin, les patates douces et des épices dans une feuille de bananier sous les braises, on peut aussi mettre du poulet. »
Arrivé au milieu d’un autre nulle part, il a dit qu’il était arrivé. Comme on ne voit jamais les cases du bord des pistes, ça ne nous a pas trop surpris.
Et roule, avance, cahote, on est reparti.
Sous un faré de feuilles de cocotiers ou de pandanus, j’ai jamais su la différence, une des femmes a discuté le prix de pamplemousses mais comme le vendeur n’avait pas de monnaie et la flemme de discuter, il nous a refilé une main de bananes pas trop mûre pour faire l’appoint (pendant ce voyage je n’ai jamais vu un vendeur indigène avoir de la monnaie).
Au premier creek venu on s’est arrêté, baigné, on a siesté, mangé, bullé… Vacances !
En reprenant la piste, on a parlé du marin du matin, le chauffeur, plus au fait des humeurs de l’île nous a expliqué que travailler dans un poste fixe était assez rare ici, et vu la devise locale : ça ira comme ça !, c’était souvent dans des emplois subalternes, et que parfois, être marin permettait de se payer des voyages à pas cher. À l’allure qu’il avait, on l’a pensé soutier ou aux machines.
Personnellement, vu son vocabulaire, je le trouvais plutôt éduqué, une des femmes aussi lui avait trouvé des expressions savantes dans la description de la vie dans l’île. Le moulin à paroles du gamin ayant fortement occupé l’espace sonore, sans parler du bruit de la mécanique en surchauffe, il me manquait obligatoirement des morceaux de la conversation.
Puis on s’est arrêté sur une plage du lagon pour manger des noix de coco et en boire le lait… baignade… Vacances !
[…]
Après avoir évité des tas d’ornières monstrueuses et des éboulements qui barraient la piste, le vieil Aristide, sa case et son « bougna » nous ont vu débarquer.
À notre soulagement, dans le « bougna », délicieux par ailleurs, pas de roussette, rien que du poulet.
À la fin du repas, il a fallu sacrifier à la tradition : marquer sur une carte de France de quelle région nous arrivions, c’était « Le Livre d’Or d’Aristide », et en sirotant notre rhum, nous avons évoqué notre passager du matin, les aléas du stop en brousse, et ses impératifs d’horaires pour reprendre son bateau.
Le vieux a éclaté de rire : « Ah ! vous avez ramené Amédée ! a-t-il gloussé entre ses quelques dents restantes, vous en faites pas, le bateau va bien l’attendre, c’est lui le commandant ! »
Serges-
Lève-toi
Il est temps, lève-toi du cercueil de tissu
Où quelques barbares, pour mieux te dominer,
Ont fait disparaître tes yeux de jais, ton nez,
Tes lèvres, tes mots. Toi, ma sœur, où es-tu ?
As-tu donné ton âme, aimes-tu ton geôlier ?
Non, ce n'est pas un dieu qui veut faire de toi
Un objet invisible, non ce n'est pas un dieu
Qui veut te bâillonner, c'est un mensonge affreux,
Une bestialité édictée comme loi.
Viens, ma sœur, montre au ciel l'éclat de tes cheveux.
Dans mon pays, longtemps, les femmes ont été
Rabaissées. Il fallut des années de combat,
Pour qu'on leur reconnût enfin les mêmes droits
Et le même respect, pour qu'avec équité
Ils nous soient partagés, avec ou sans la foi.
Nulle part n'est écrit que tu es un objet,
Une esclave dédiée à la reproduction,
Invisible et surtout entravée de chiffons
Asservie par naissance, et plus rien désormais
N'est digne de l'humain si, par lapidation,
On peut t'assassiner sans parler de méfait.
Tu es née pour aimer, libre, pour avancer :
Ton corps et ton esprit à toi seule appartiennent.
Il s'agit de ta vie, montre leur qu'elle est tienne.
Il n'est aucun bâillon qui tue la Vérité.
Lève-toi du linceul jusqu'à ce que nous vienne
Comme la lumière, le don de ta beauté.
Par toi, cet homme n'a aucune humanité,
Qui fait de toi l'esclave et l'ombre de sa haine,
Quand l'ignorance règne au monde et se déchaîne,
Il est temps, tu le sais, d'enfin te libérer
Du voile de la honte, et de vivre, sereine,
Chaque jour un peu plus près de la Liberté.
M. Kissine
2. Francoisee le 16-10-2010 à 20:21:06 (site)
J'ai bien aimé te lire. Merci pour elles.
Françoise
3. OldDream le 19-10-2010 à 07:57:35
Isabelle Alonso sortez du corps de Kissine !
L'Académie française est des manuscrits inédits s’exposent
Musée des lettres et manuscrits du
L’histoire de la collection unique exposée à l’automne au Musée des lettres et manuscrits commence avec la famille de Flers, qui a rassemblé, durant six générations, pas moins de 7000 lettres et documents autographes émanant des quelque 700 Immortels ayant siégé à l’Académie française. Depuis la fondation de la vénérable institution en 1635, sous les auspices du Cardinal de Richelieu, jusqu’au 20e siècle et l’arrivée en 1980 de Marguerite Yourcenar, ils sont pour ainsi dire tous rassemblés dans cette exceptionnelle collection, commencée en 1824 mais connue à ce jour des seuls initiés et désormais conservée par le Musée des lettres et manuscrits.
Outre la découverte, toujours émouvante, de l’écriture de nos grands auteurs, l’occasion est unique de dresser une chronique vivante de l’Académie française, d’en présenter le fonctionnement, les travaux quotidiens, le protocole, d’en faire revivre les débats et querelles souvent vifs et passionnés à travers les siècles. Large spectre que celui de ces échanges, parlant tour à tour de finances, d’écriture, de désillusion amoureuse, de tactiques d’élection, de sciences ou de politique. Une place de choix est également réservée au fameux fauteuil 41, celui des refusés, où prennent place des écrivains aussi majeurs que Zola, Balzac, Jammes, mais aussi Constant, Molière et bien d’autres.
1. OldDream le 21-10-2010 à 08:27:27
Bonne et belle idée de mettre un peu de lumière sur cette mystérieuse mais grande maison. L'élection de Marguerite Yourcenar, première immortelle, déclencha nombreuses polémiques et manoeuvres. Doit falloir un temps infini pour parcourir au mieux cette exposition de l'éloquence.
1. Francoisee le 15-10-2010 à 21:45:42
Cela me donne très envie de voir le film. La musique est une pure merveille.
Françoise
2. imbir le 15-10-2010 à 22:01:45
C'est tout juste magnifique , on a qu'une envie c'est de fermer les yeux et de se laisser submerger par toutes ces harmonies.
1. OldDream le 20-10-2010 à 08:11:49
Me souviens pas de l'avoir vu, mais la musique donne envie d'entrer dans l'univers si particulier de Lynch, très" blue velvet".
Beijing coma :
La parution de la traduction française de l'ouvrage de l'écrivain chinois Ma Jian, Beijing Coma, constitue un véritable événement, un livre important sur la tragédie de la place Tiananmen, en 1989 à Pékin.
Le héros, Dai Wei, blessé par un coup de revolver à la tête infligé par un policier en civil lors de l'écrasement par l'armée de la révolte du « Printemps de Pékin », va vivre dix ans dans un coma qui lui permet seulement d'entendre son entourage.
Pour tenter d'en sortir, il se raccroche à ses souvenirs et aux souffrances de ses parents.
L'auteur évoque alors certains des épisodes tragiques de l'histoire du Maoïsme.
Le deuxième thème concerne la vie quotidienne du blessé. La police le surveille pour l'arrêter s'il reprenait ses esprits, les voisins espionnent sa mère qui a les plus grandes difficultés à survivre et à payer les traitements médicaux, quand les hôpitaux ou la médecine traditionnelle acceptent de soigner une victime de la Place. Cet aspect du roman permet une construction assez complexe qui souvent arrive à soutenir l'intérêt dans une histoire dont on connaît dès le début le dénouement tragique…
Le troisième thème du livre concerne l'enchaînement d'événements qui conduisirent à l'écrasement par l'armée le 4 juin 1989 de la révolte estudiantine et à de nombreux morts.
Ma Jian collectionne ainsi, avec également l'évocation de son livre interdit sur le Tibet, la liste presque complète des « off limits » pour les autorités chinoises.
[-ImbIr-OstrIY-]
Quand je vais pas à pas à la recherche de mes pas,
Il n’y a pas un pas qui ressemble à un pas.
Je ne parle pas de pas de tango ou de chachacha,
Non juste des pas que l’on fait ou que l’on ne fait pas.Il y a des pas que l’on fait pas à pas,
D’autres pas que l’on pourrait qualifier de grands pas,
Des pas en avant, des pas en arrière,
Des pas de coté et des pas ratés,
Des pas hésitants, des pas conquérants,
Des pas oubliés et des pas perdus.
Comment ne pas se perdre dans tous ces pas ?
Que dites vous il faut sauter le pas ?
Mais si on le saute que devient le pas ?
Parce que le pas sauté est comme un pas nié.
Au fait pas est aussi une négation
Et n’oubliez pas que le pas est censé nous faire avancer.
Donc avançons à petits pas, pas après pas,
Sans oublier le pas le plus important
Qui est le premier pas.
asteria
1. CopyPaste le 15-10-2010 à 22:08:08
Pas... mal !
2. Francoisee le 15-10-2010 à 23:00:13
Et le pas de deux ?
Pas mal du tout en effet.
Françoise
3. OldDream le 16-10-2010 à 08:11:44
C'est même plus que cinq pas!
La Cerisaie - Cycle Tchekhov
Dates : du Samedi 27 novembre au 11 décembre 2010
Horaires : 20:00
Lieu : Athénée Théâtre Louis Jouvet 75009 Paris
Tarif : 33 euros - Billetterie
Texte : Anton Tchekhov
Mise en scène & scénographie : Paul Desveaux
avec Fabrice Cals, Daniel Delabesse, Vincent Debost, Amandine Gaymard, Christophe Grégoire,Jean-Claude Jay, Sara Llorca, Fany Mary, Justine Moulinier, Océane Mozas, Baptiste Roussillon (distribution en cours)
Assistant à la mise en scène : Alexandre Delawarde
Costumes : Laurence Révillion – Lumières : Laurent Schneegans – Musique : Vincent Artaud – Chorégraphie : Yano Iatridès
Traduction : André Markovicz et Françoise Morvan
Comme son titre le signale, l'héroïne de La Cerisaie, c'est la maison elle-même. Une maison devenue un monde, une planète autour de laquelle gravite une poignée de personnages en perdition ou en devenir - aristocrates ruinés et futurs révolutionnaires, serfs affranchis et domestiques, amoureuses, rêveurs et pragmatiques. Plantée au milieu des passions et des intrigues, dépositaire de tous les souvenirs, protectrice et geôlière, elle mesure le rapport de chacun au changement ou à la perte. Peut-on vivre sans elle, ou, au contraire, faut-il l'abattre pour survivre ?
Ecrite en 1904, la dernière pièce de Tchekhov est aussi l'épitaphe d'une société, la vision poétique et lucide d'un univers vacillant, où les uns se cramponnent au passé tandis que les autres s'écrient ,saluent la vie nouvelle .
Le metteur en scène Paul Desveaux a choisi de la présenter comme le songe d'un monde à venir. Un de ces rêves que l'on fait à l'aube et qui ressemblent terriblement à la réalité?.
[-ImbIr-OstrIY-]
Vladimir Bartol : Alamut
[-ImbIr-OstrIY-]
Je revêts un habit de pitre, de guignol.
Copypaste, c'est lui, le chti clown amateur,
Impertinent, souvent, un zest provocateur,
@ la tâche risquée, de jouer au mariole !
Trop de légèreté, erf ! Le voilà coulé.
Des signes de lourdeur, il devient le boulet.
Et c'est vite commis, une indélicatesse...
1. Francoisee le 15-10-2010 à 12:18:03
Tu résumes très bien ! )))))
En tout cas, bienvenue sur ce blog, et bienvenue sur le salon Arts-and-Factory.
Françoise
Je voulais m'excuser, je t'ai trop observée,
Mon regard m'a trahi, je te sens énervée.
Peux-tu me pardonner, d'avoir si insisté,
Je te trouve trop belle, pour pouvoir résister.
Stuart Dybek - Les quais de Chicago
Nick Cave : fête d'anniversaire, mauvaise graine et homme-machine à broyer
Élevant la voix au-dessus du vacarme du métro, il lui racontait la guerre. Sa guerre. Celle d'Algérie. Ou celle d'Indochine. Il ne se rappelait plus. Tout cela était si loin maintenant. En tout cas, parmi ses souvenirs, certains étaient encore vivaces:
-Les jaunes sont des fourbes, leur guerre... Ils la font avec des enfants...
Elle avait du mal à entendre parler des siens ainsi. Mais cela lui faisait plaisir, parce que cela venait de lui.
-Je te fais de la peine ? Tu ne me regardes pas quand je te parle...
-Mais non. Tu ne me fais jamais de peine. J'aime t'écouter. Voir la vie par tes yeux, par tes mots, par tes gestes, et tes souvenirs. C'est ce qui t'appartient et te définit.
La main calleuse s'appuya affectueusement sur le genou de la jeune fille. Elle pourrait être sa fille... Sa petite fille... Et il s'en voulait de la rendre triste. Paternellement, il appuya ses doigts plus fort contre son genou.
-Allez, ça va maintenant ! J'arrête.
Elle lui sourit. Et il répondit par le même sourire. Un sourire franc, massif. Un sourire complice.
Embarrassés par la gêne, ils regardaient maintenant dehors, le monde qui les entourait. Barbès-Rochechouart. C'est là qu'ils descendaient. Il s'appuya sur sa canne pour se relever et le sang lui monta à la tête. Il tremblait sous l'effort. Elle prit les sacs de courses qui reposaient contre sa jambe, et qui à l'instant avaient manqué de tomber. Il s'en saisit aussitôt.
-Non. Tu n'as pas à faire ça. C'est les hommes qui aident les femmes.
Elle lui sourit encore.
Encore tremblant, mal-ajusté sur sa canne, il prit les sacs avec vigueur, vacillant sous leur poids. Il avançait en s'appuyant sur sa canne. Elle aurait aimé lui reprendre les sacs... Mais elle n'osait plus, de peur d'être encore remise à sa place. Sa condition de femme. Ils descendaient l'escalier en discutant. Pourquoi n'avaient-ils pas pris l'escalator ? Le vieil homme n'avait aucune confiance en eux.
-Et si tu venais prendre un thé chez moi ? Proposa-t-il.
-Oui, bien sûr. Avec plaisir. Elle acquieça en plissant les yeux.
Elle le suivit jusque chez lui, jusqu'à sa lourde porte, jusqu'à son appartement insalubre.
-Installe toi. Fais comme chez toi.
Elle poussa de vieux vêtements et s'assit sur le canapé. Il était vieux et sale. Tout ici avait une odeur de renfermé. Elle avait toujours connu son ami ainsi, mais il prétendait que c'était depuis qu'il avait perdu sa femme qu'il se laissait un peu aller. Elle voulait bien le croire. Il ramena le thé, servi dans une théière marocaine, et le service qui allait avec. Il posa le plateau d'un air assuré, mais il tremblait sous le poids de l'âge. Il commença à servir le thé "à la turque", souvenir des colonies... Elle était émerveillée... Même si elle l'avait déjà vu faire des dizaines de fois... Cette façon insouciante de verser le thé, en faisant onduler la théière de haut en bas au-dessus des verres, la fascinait. Comme une enfant, elle louchait sur le liquide qui s'écoulait, tout en souriant. Pas une goutte à côté. Incroyable ! Elle se laissa aller à un sentiment d'abandon, le thé à la main, couvée par la bienfaisance de son vieil ami. Elle laissa son corps se fondre dans le canapé sans formes. Les yeux fermés, elle l'écoutait parler de sa vie. Il contait ses aventures du temps où il fréquentait les bordels de Fès ; il l'observait, son corps de femme, son corps si beau... Son corps si désirable. Tout en parlant, il se défaisait d'une main fébrile de sa ceinture. A présent la main dans son pantalon, son discours se faisant haletant, déconstruit. Elle ouvrit les yeux pour se trouver face à son sexe. Fripé et pendouillant. Elle ne put s'empêcher d'étouffer un rire. Le visage empourpré, le souffle court, il la regardait, regardait son sexe, et se laissa envahir par la mélancolie. Il fondit en larmes.
-Je suis un idiot, sanglotait-il.
-Mais non...
-Pourquoi viens-tu encore me voir ?
-Parce que je t'aime, idiot !
-Je ne suis qu'un vieux pervers, et chaque fois, je ne pense qu'à te sauter. Comment peux-tu m'aimer ?
-Je ne confonds pas mon amour et ton désir.
A cette phrase le vieil homme s'apaisa. Il pleurait, mais se sentait bien. Toutefois, il ne comprenait pas. Son amour à lui avait toujours été motivé par son désir. Et son désir était donc indissociable de l'amour.
Il hocha la tête, en signe d'approbation, mais une petite voix en lui se disait que "peut-être, la prochaine fois...".
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1. Francoisee le 15-10-2010 à 12:24:23 (site)
J'aime bien le style. J'aime bien l'histoire. La fin nous laisse imaginer la ou les prochaines fois.
Françoise
Pour ceux qui en aurait douté avec ce premier chef d'oeuvre qu'est Gulag Orkestar, The Flying Club Cup est la confirmation d'un talent que ces quelques commentaires ne pourront jamais illustrer à sa juste mesure. Beirut, groupe incontournable – mené par Zach Condon, prodige de 21 ans – n'a pas fini de nous arracher des émotions.
Les mélodies sont tantôt lancinantes, presque mélancoliques, tantôt festives, inspirées du folklore d'Europe de l'Est. Violon, accordéon, piano, trompette émoustillent les sens, une musique pleine de sons, d'images, de goûts, d'odeurs... L'art de Beirut est une sorte de Fado, triste et joyeux à la fois.
2. harfang le 14-10-2010 à 11:29:09 (site)
Je ne connaissais pas du tout. Merci de m'avoir fait découvrir. J'aime bien !
De son célèbre père, Kyle a hérité sa passion pour le jazz - il sort Paris Blue, un album au swing épuré mâtiné de funk. L'un et l'autre évoquent cette filiation réussie.
1. harfang le 14-10-2010 à 11:25:55 (site)
et en plus il est aussi beau que son papa, ce qui ne gâche rien !
Little Barrie
Stand your ground
Depuis une bonne demi-douzaine d'années, chaque saison nous apporte son lot de groupes revival de talent. Nous voilà début 2007 et Little Barrie semble tout à fait correspondre à la chose : un jeune trio rock, mené par le petit Barrie Cadogan, et venu tout droit d'Angleterre nous proposer une musique assez influencée par la période fifties-sixties.
un groupe convainquant et attachant à ne pas louper.
bonne écoute.
[-ImbIr-OstrIY-]
Commentaires
1. Francoisee le 16-10-2010 à 20:17:24
Quel narrateur tu fais Serge !!! Récit très imagé, presque une vidéo-lecture. J'ai toujours été moi aussi surprise et même parfois complètement interloquée, quand je suis sur le continent originaire de ces gens, d'écouter ce vocabulaire français que nous utilisons rarement. Merveilleux souvenir pour toi ce voyage !
Françoise
2. OldDream le 21-10-2010 à 08:33:01
Pour une fois , je partage totalement l'avis de Françoise....