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Titre du blog : Arts scéniques et vieilles dentelles
Auteur : Artscenik
Date de création : 03-10-2010
 
posté le 28-03-2011 à 19:30:47

Les Vivants et les morts

Les Vivants et les morts

de Gérard Mordillat

 

 

vivants

 

 

 

Pour écouter : 

 

C'est possible à lire ci-dessous.

  

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Pourquoi j’aime le livre de Mordillat. Ce n’est peut-être pas l’écriture, le style ou tout ce que vous voudrez, mais c’est ce qu’il raconte qui m’intéresse !
Un exemple : Une scène prise pas tout-à-fait au hasard entre Lorquin un vieux de 54 ans qui vient d’être licencié et Rudi, 30 ans, son pote…
C’est Lorquin qui parle.
— Regarde-toi dans une glace et demande toi si tu es un homme libre.
Rudi veut répondre mais Lorquin le devance :
— Ne me dis pas que j'emploie les grands mots, que je devrais écrire, que je déraille. J'emploie les mots qu'il faut, c'est tout.
Il compte sur ses doigts :
— Un, tu n'as rien à toi : ta maison, elle est à la banque ; le jour où ils ferment le robinet, t'es à la rue. Deux, en théorie tu peux aller où bon te semble, en réalité, comme tu n'as pas un sou devant toi, t'es bien obligé de rester là où tu es ! je ne te demande pas où tu vas en vacances, je connais la réponse : tu restes là, t'es assigné à résidence. Trois, tu travailles pour gagner tout juste ce qui te permet de survivre, rien de plus. Et si tu t'avises de te plaindre, le peu que tu as on te l'enlève pour t'apprendre les bonnes manières. Alors tu la fermes parce que ta baraque, ta femme, tes gosses… Alors d'accord, t'es pas fouetté, t'es pas vendu sur le marché, t'as le droit de vote et le droit d'écrire dans le courrier des lecteurs de La Voix que tu n'es pas d'accord avec ce qui t'arrive, t'as la liberté d'expression ! Quelle liberté ? Tu sais bien que si tu écrivais une lettre pour dire vraiment ce que tu penses et si tu l'envoyais, ce serait comme si tu rédigeais publiquement ta fiche d'inscription à l'ANPE. Crois-moi : si tu veux bien regarder de près, ta vie ne vaut pas un pet de lapin, tu ne comptes pour rien, t'es un « opérateur » de production comme ils disent, quelque chose entre l'animal de trait et la pièce mécanique…

Voilà pour l’extrait.
J’aime cette scène parce qu’elle me ramène plus de 30 ans en arrière, début 1978.
J’ai pris conscience de notre importance insignifiante, pendant une occupation d’usine. Des potes nous avaient « trahis » dans une grève dure (mais fallait bien qu’ils assurent les fins de mois, d’accord). Un syndicat (je tairais le nom) magouillait dans les négociations pour laisser un foyer de mécontentement avant les législatives.
Huit jours de fatigue à pas ou peu dormir… une tension phénoménale !
On sentait bien que les cadres et la direction nous manipulaient, l’usine allait être fermée quelques mois après, mais on était dans l’entonnoir… coincés.
Je pense avoir compris la situation une nuit.
J’étais piquet de grève… couché sur des palettes dans mon duvet… un copain baisait sa copine, pas très discrètement, dans le local des photocopieuses juste à côté… j’arrivais pas à dormir… la tension, trop de cafés je sais pas.
Les grands discours me gonflaient déjà !! De la stratégie, de la politique, de la finance… mais des hommes ils n’en parlaient jamais.
Des idées générales ? OUI ! des émotions, du vécu : NON !
Alors, à la fin de la grève… je suis parti sans être viré… pas d’indemnités… rien.
Mais c’était pas important, je partais pour aller vivre une histoire d’amour.

 

Serge

 

Commentaires

OldDream le 04-04-2011 à 13:25:20
Astucieux , bien ficelé, tu es vraiment un excellent conteur et ta bonne diction en rajoute encore.

De plus, le nom de Mordillat fait agréablement saliver mes origines pitbull.

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