Parfum de vie
Comme elle avait reposé l’entier de son corps, le sommeil la quitta avant l’aube ce jour-là !
Elle aimait ces réveils décalés, qui lui donnaient de vivre autre chose, alors que la plupart des gens autour, étaient occupés à leur nuit encore !
Elle se fit légère pour traverser la maison endormie. Et, geste rituel, déplia le filtre à café lentement, plongea son nez dans l’arôme en se disant que ce café matinal ressemblait plus à une habitude qu’à une envie réelle. Puis, dans la normale continuité de ses gestes à présent devenus quotidiens, elle alluma sa lucarne, espace d’ouverture au monde qui la contentait et la maintenait dans cet état de surprise permanent. Le virtuel décidément lui procurait, aussi paradoxal que ça puisse être, la certitude d’un jour neuf, différent de celui de la veille, et la rassurait sur sa capacité d’émerveillement qu’elle tenait à garder intacte.
Elle réalisait aussi de manière immédiate que cette bécane devait fonctionner à la perfection parce que, sans qu’elle ne s’en rende compte vraiment, ce lien lui était devenu tout simplement indispensable.
Elle se connecta donc rapidement et comme à son habitude, entra dans son salon… sa room… son espace !
Peu de monde à cette heure de la nuit : des gens de l’autre bout de la planète, cherchant à s’appuyer sur une langue familière, quelques insomniaques, de rares travailleurs nocturnes qui ici laissaient passer les heures en attendant de se coucher enfin, et puis, des purs décalés noctambules, ceux qui au fond l’attiraient là à cette heure, décalés résolus à ne plus jamais recoller au monde !
Elle laissa défiler la liste des connectés. Un pseudo retint son attention sur le champ, « Instants de vie ». Sans hésitation aucune, parfaitement aguérie au jeu du tchat, elle entra sans frapper dans son pv, en lâchant simplement ces mots… « Bonjour, magnifique pseudo »
Elle n’avait aucun doute sur le masculin du pseudo… et à la seule lecture de ses premières tirades, elle sut que le voyage serait exaltant.
Grisée par cette nouvelle rencontre, elle se défonça à la joute verbale jusqu’à ce que le jour gris de ce mercredi ordinaire la contraigne à revenir dans l’espace réel de sa vie.
Elle s’apprêtait à débrancher… avec cette invitation masquée de ne pas perdre le fil de cet instant de vie. Il comprit et lui lâcha un numéro de téléphone in extrémis, avant qu’elle ne quitte la lucarne bleue. Elle savait par avance, qu’une fois sa tâche accomplie, elle appelerait ce parfait inconnu parce que les mots de cet homme avait une couleur particulière et qu’elle en voulait retrouver l’essence au plus vite !
De retour dans son lit, dégagée de toute entrave, excitée et palpitante, elle appela !
Il avait attendu avec impatience, aiguisé lui aussi à ce jeu devenu désormais familier. Leur joute pouvait se poursuivre joyeusement… n’ayant comme seul support que la voix à ce moment-là. Des choses essentielles ? Qu’ont-ils partagé à cet instant ? La vie, la leur… avec tout son ballet de tristesses et d’enchantements mêlés… deux vies opposées et pourtant tellement imbriquées. Elle se disait qu’à ce moment précis, rien ne les séparait même si d’emblée, absolument rien ne pouvait les rapprocher. Une chose peut-être… leur soif d’un ailleurs différent. Sa voix, se dit-elle sans surprise, porte si parfaitement ses mots.
Qui était cet autre, qui, si bien et si clairement, énonçait sa soif d’en finir, d’arrêter la vie, et son insuffisant courage à se jeter sous une rame de métro quelconque et ainsi se fondre dans l’oubli de la vie.
Ses nuits étaient devenues toutes semblables, errant dans ce cybermonde, sans quête particulière, attendant simplement que la vie, sa vie s’éteigne enfin !
Il habitait dans un de ces trous de souris parisiens, au cœur de la ville, recoin de cour où jamais le soleil ne pénètre et où il faut être entraîné pour savoir répérer les beaux jours à quelque clarté inattendue. Il vivait là, perdu dans la foule et content d’être cet anonyme. Esprit brillant, trop sans doute pour supporter l’imperfection du monde et la sienne propre. Il se détestait, se trouvait laid et sale, lâche et sans saveur et disait se dégouter chaque jour un peu plus. Jeune et grand pourtant, soignant son look quoiqu’il en dise. Il ne cessait de répéter qu’il était mort et elle ne savait dire pourquoi tant et tant, elle sentait la vie à l’autre bout. Peut-être au fond, était-ce parce qu’il lui faisait prendre conscience que trop souvent, elle s’ennuyait. Il avait cette vertu involontaire de remplir son espace temps et de combler de manière immédiate son ennui. Et puis, elle était fascinée par la pureté de son discours, totalement dénué d’interets secondaires, épuré de l’accessoire et du futil, du peu important et du paraître aussi. Oui, elle avait ce sentiment qu’ils allaient à l’essentiel et ça la comblait. Il l’avait d’ailleurs lui-même résumé très bien… en disant « tu es tellement vraie » traduisant par là-même le sentiment proche qu’elle éprouvait à son contact.
Il s’en suivit alors des nuits sans sommeil pour elle… pendant lesquelles il la faisait osciller à son gré et selon son humeur ou son degré d’alcoolémie, entre sa présence excessive et ses sauts d’humeur aux accents terribles tantôt, enjoués à d’autres heures.
Un jour, alors qu’une nouvelle nuit alcoolisée l’avait entrainée dans ses profonds délires, qu’elle lisait avec délice… le dial se terminant la plupart du temps dans son lit, épuisés par l’écriture tous deux, mais n’ayant aucun désir de se quitter, elle, tentant de se reposer un peu avant une nouvelle journée de travail, lui, dans la continuité de son propre épuisement, un jour donc, il lâcha des mots qu’elle crut irréparables, tant ils étaient puissants et déchirants. « Crève ! » a – t-elle simplement entendu hurler dans son combiné et puis plus rien… un long silence simplement !
Si lourd de sens, ce seul mot crié comme un dernier râle de desespoir ou d’espoir au contraire, largement consenti par lui… Avait-il parlé de lui ? D’elle ? D’eux ?
Elle allait se retirer du jeu, se disant qu’elle s’abîmerait au contact de cet homme bien plus qu’elle ne grandirait. Mais c’était sans compter les nuits d’ivresse et les matins sombres qu’il connaissait. Il est revenu vite, s’excusant dix mille fois… n’ayant qu’un seul souci et une peur permanente, envahissante, obsédante… celle de decevoir !
Sans doute n’aura-t-il jamais idée de ce qui l’attirait tant chez lui… Elle souhaitait simplement cet entier de vie au visage de mort annoncée, cet entier de lui pour ce qu’il avait de langage vrai. Elle se disait que c’était pour elle une vraie chance de l’avoir de si près cotoyé dans ses errances douloureuses. Chance oui parce que là était tout ce qu’elle avait si soif de vivre : éprouver dans son corps tout entier l’expression totale de ses pensées, et les partager de la manière la plus pure et nue qui soit. Et cet homme l’y aidait si bien ! Qui était donc cet écorché vif, ainsi échoué… qui disait que rien de son enfance ne pouvait expliquer son état…, que toujours il avait eu cette idée obsédante d’en finir avant la vie… et qui s’obstinait résolument à ne pas voir ses propres blessures, se laissant couler dans le néant.
Tellement touchant il était, tellement attachant aussi… en larmes certaines fois, éclatant de rire à d’autres moments. Lui, disait « mort » à chaque détour de phrase et, elle sentait tellement la « vie » en lui, qu’il réprimait et étouffait.
Elle est arrivée à Paris au cœur de la nuit… quelques semaines seulement après qu’à cette même heure, elle soit venue poser son regard sur cet « instant de vie ».
Evidemment, ils se sont aimés. Par reconnaissance ? Par attirance ? Par pur désir de l’instant sans doute ou tout cela à la fois.
Il avait tant peur de decevoir… que la fête fut pour elle royale et la caresse de lui, pur régal.
Elle partagea son huit clos le temps d’une nuit et d’un jour, la nuit ressemblant au jour, ou était-ce l’inverse ?
Elle s’emplit de son espace, essayant de figer à sa mémoire l’entier de ses sensations comme on tenterait de garder un trésor, une perle de vie, un précieux souffle. Elle le regarda s’adonner à ses rituels quasi religieux, répétant des gestes quotidiens de manière ordonnée et immuable. Elle ne voulait le quitter du regard pour garder en elle sa façon de se mouvoir dans cet espace qu’elle sentait rassurant pour lui quoiqu’il en dise. Cet espace de vie aux allures de geole au moins autant que de havre… Elle guetta la vie dans ses yeux, y lut sa douceur, prit l’entier de ses parfums et ses essences intimes.
Il l’a reçu avec infiniment d’humanité, soucieux d’elle et de son bien-être ! Elle en fut émue et pourtant lui tut son émotion ! Elle pensait que son corps parlait pour elle et ne voulait se poser aucune question. Elle souhaitait simplement se laisser gagner par l’entière pensée de cet autre et le contempler dans ce qui était sa vie. Vivre ainsi l’espace qu’il lui offrait et le fixer à sa mémoire, tous sens en alerte. Il lui donna ce possible sans le savoir et silencieusement, elle l’en remercia. Elle savait qu’à présent, quoiqu’il arrive, cet homme ferait partie de sa vie, de la manière la plus entière et vraie qui soit… et que la mémoire de Lui ne la quitterait que lorsque son propre chemin la conduirait vers la pièce d’à côté.
Puis, sans qu’elle ne comprenne précisémment pourquoi, l’ambiance feutrée de cette pièce vira. L’imperfection de lui, prit le pas sur la douceur du moment. Quand elle reprit le cours de sa pensée, encore embrumée par une nuit d’ivresse commune, le regard de cet homme s’est fermé. Ailleurs il était, inaccessible, et paraissait si lointain. Personne à cette heure n’aurait pu le rejoindre. Cette pensée lui vint comme une évidence !
Son monde subitement par elle envahi, devint pour lui irrespirable… Il la chassa sans violence.
Elle partit le corps et l’esprit pleins de lui, cet « Instant de vie ».
Deux sentiments confusément mêlés l’étreignaient dans cette immédiate réalité. L’un fort et omniprésent, celui d’avoir échoué dans son envie de donner quelque force de vie à cet autre, juste parce qu’ainsi il existait dans sa vie. Le second, moins envahissant mais nettement présent à son esprit quand même, celui de l’aider lui, à en finir avec sa vie qui lui apparut plus que jamais pure souffrance.
Elle quitta cet îlot perdu dans cette ville décidément trop inhumaine à son goût, élargit son horizon, brava le flot de voitures sans fin pour en sortir deux heures plus tard. Enfin ! Elle s’arrêta quand l’air devint respirable. Elle regarda vers l’ouest… son cap… laissant divaguer sa pensée, espérant sans y croire, un signe qui l’aurait fait revenir sur ses pas, ne retenant rien de sa tristesse.
Le ciel annonçait une belle journée à venir… Demain elle serait là-bas face à l’océan pour reprendre le fil de sa vie, suspendue l’espace d’un « instant de vie ».
Zoe-Vie
Commentaires
Après tant d'années de peinture à m'interroger sur cette question sans doute et heureusement incontournable, j'en suis là actuellement (ce qui ne veut pas dire que ma pensée n'évoluera pas, les certitudes solidement ancrées sonnant me semble-t-il la fin des ébats, oups débats...hihi): on ne crée bien qu'avec une réelle intention, pour et par quelqu'un. La jouissance immédiate du travail achevé n'est pas à la mesure des regards qui s'y posent , mais bel et bien dans cette intention. Est-ce réussi? Même cette finalité devient accessoire. Disons que c'est accompli. Et cela permet de passer à la suite. Un peu comme un herbier, où l'on collecterait des images, des sensations, des impressions, des ressentis. Comprendre une intention paraît illusoire. Aussi, est-il nécessaire d'organiser ces grand' messes où l'on déambulle le fameux audiophone collé aux oreilles pour simplement ressentir, percevoir, s'émouvoir...Chaque fois que je me suis rendu dans un musée dans l'intention de découvrir l'oeuvre d'un peintre, je me suis fait scotcher. Ca n'était jamais celui que j'avais imaginé qui me laissait sans voix, interloquée par tant d'évidence. L'intention du peintre devait alors être sacrément puissante et forte en émotion. Où alors y ai-je trouvé quelque chose qui faisait écho...simplement...Sourire
Très souvent sur #Arts-and-Factory se pose l'éternelle question de la subjectivité de l'Art, de l'oeuvre. Peut-on dire aussi rapidement, j'aime ou je n'aime pas? Ne vaut-il mieux pas s'inviter à prendre le temps de comprendre la démarche de l'artiste, de bousculer les frontières étriquées de notre esprit.
Tu nous montre avec brio que chaque tableau écrit une belle histoire.
Léonard aimait-il les sourires en coin, Toulouse-Lautrec les goulues, Schiele les plus jeunes, Courbet les brunes d'origine,Manet les déjeuners sur l'herbe, Botero les règles de lard?
Une liaison avec une artiste vous laisse cette double sensation d'avoir été croqué deux fois, une fois au lit, l'autre sur la toile. La fierté du mâle se mesurant dans le souvenir qu'il pense laisser, imaginez l'orgueil de ceux qui se retrouvent à la postérité , sculptés à poil dans du bronze ou badigeonnés sous leur meilleur profil à l'huile ou à l'acrylique !