Cent ans de solitude
Gabriel Garcia Marquez.
Editions du Seuil et en poche chez Points.
C'est une épopée, l'histoire légendaire et mythique d'une lignée qui s'étire, comme le dit le titre, sur un siècle, de sa fondation à son extinction. José Arcadio Buendía et Ursula, un couple errant, s'installe à une époque indéfinie (probablement le milieu du XIXe) dans le hameau désert d'un lieu incertain d'Amérique du sud qu'ils baptisent Macondo. A mesure que la dynastie Buendia s'accroît (préparez un petit papier ou utilisez la page de garde de votre livre pour établir une généalogie, on se mélange vite au milieu de tous ces hommes qui portent le même nom) le marigot devient un village visité régulièrement par des gitans qui ramènent des nouvelles du monde, des objets fabuleux et de terrifiantes prophéties. Le village, voit l'arrivée de migrants, de cultures, faisant naître une petite ville commerçante prospère. Enfin, les guerres font rage, les fléaux s'abattent menaçant la continuité de la vie à Macondo. C'est le roman, le mythe de la naissance, la vie, la grandeur et la décadence d'une famille et d'une cité.
Le fantastique n'est jamais très loin dans cet univers où les références magiques et mythologiques fourmillent ; des ossements qui s'agitent pour qu'on les enterre, un homme qui ne se déplace jamais sans une nuée de papillons dans son sillage, des alchimistes, des prophètes, la plus belle femme de Macondo qui rend les hommes littéralement fous s'éteint en s'élevant dans les airs, la menace de la naissance d'un enfant à queue de cochon (les hommes ont une fâcheuse tendance à s'enticher des femmes de la famille)… Les sentiments ne sont jamais tièdes, l'amour dévore, la colère se règle dans le sang. Ca tourbillonne et c'est violent. Macondo et la dynastie Buendia ne connaîtront le repos que dans l'anéantissement. On suit l'existence de cette foule de personnages tous plus hauts en couleurs les uns que les autres, déjantés, ravagés de folie qui peuplent les quelques 460 pages de cette fresque chamarrée.
Et puisque l'exemple vaut mieux que la leçon, voilà un petit extrait. Il y est question de Rebecca, mon personnage favori, cousine éloignée arrivée seule, encore toute enfant, au village de Macondo avec pour seul bagage les restes de ses parents dans un sac de toile. La voici quelques années plus tard:
Les après-midi où il pleuvait, tandis qu'elle brodait en compagnie d'un groupe d'amies sous la véranda fleurie de bégonias, il lui arrivait de perdre le fil de la conversation et une larme de nostalgie roulait jusqu'à lui saler le plais, à la vue des couches veinelées de terre humide et des monticules de boue qu'édifiaient les vers du jardin. Ces goûts cachés, vaincus en d'autres temps par le mélange d'oranges et de rhubarbe, rallumèrent un appétit impossible à contenir lorsqu'elle se mit à pleurer. Elle remangea de la terre. La première fois ce fut presque par curiosité qu'elle s'y remit, persuadée que le dégoût qu'elle éprouverait serait le meilleur remède contre la tentation. Et, de fait, elle ne put supporter de garder la terre dans sa bouche. Mais elle insista, vaincue par un désir croissant, et peu à peu retrouva l'appétit ancestral, le goût des minéraux primaires, cette satisfaction sans failles que procurait l'aliment originel. Elle glissait des poignées de terre dans ses poches et les mangeait par petits grains sans se faire remarquer, remplie de bonheur et de rage à la fois, tandis qu'elle enseignait à ses amies les points de broderie les plus difficiles et parlait des autres hommes qui ne méritaient pas qu'on poussât le sacrifice jusqu'à avaler pour eux la chaux des murs. Les poignées de terre rendaient moins lointain et plus réel le seul homme qui méritait pareil avilissement, comme si cette terre qu'il foulait de ses fines bottes vernies en quelque autre endroit du monde transmettait jusqu'à elle la densité et la chaleur de son sang, par cette saveur minérale qui lui laissait un goût de cendre dans la bouche et déposait un sédiment de paix au fond de son coeur.
Gabriel Garcia Marquez a reçu en 1982 le prix Nobel de littérature pour Cent ans de solitude, considéré aujourd'hui comme une oeuvre majeure de la littérature latino-américaine.
Nulle-si-Decouverte
Commentaires
Enfin Découverte dans ce très bel article incitateur qui invite si bien à la lecture.
"A gusto" dirait-on dans la langue de GGM.
Le problème est que nous y avons aussi pris goût.