Au bout du monde
Je m’étais prise de passion pour ce coin du monde que j’avais découvert quelques mois auparavant seulement. La terre ici m’enchantait et dès ma première immersion dans ce lieu, je reconnus dans le plus entier de mon corps, ce que cette générosité produisait en moi de bienfaisant. Ici, je me sentais respirer et vivre plus pleinement qu ‘ailleurs.
J’aime penser ainsi les choses. Certains lieux donnent à se sentir plus vivant, plus imbriqué encore dans le monde et ses éléments.
Je decidais ce jour-là d’un périple solitaire qui me donnerait à voir d’autres couleurs encore que la veille, surprise et enchantée par ses changements permanents du ciel et des paysages autour.
Ainsi donc, je suivis un long moment la route côtière, traversant villages et lande printanière avec un plaisir égoiste non dissimulé.
J’avais une destination précise mais aucun sentiment d’urgence, comme si je pressentais déjà que ce lieu à venir ferait partie de moi tout entier !
Les touristes ne venaient pas là à cette saison, trop pluvieuse et fraîche, ni même les gens de cette terre, occupés à leur vie quotidienne. Cela augmentait encore mon sentiment de joie à l’idée de jouir seule et entièrement de ce lieu sacré.
A l’extrême pointe, je stoppai ma voiture sur ce parking désert. Le vent s’engouffra avant même que je puisse sortir et enfiler ce légendaire et indispensable ciré. Vent fort et vivifiant dont je m’emplis les pleins poumons. Une seule auberge typique d’ici… volets bleus, terrasse couverte et protégée… sans âme qui vive à cette heure-ci.
J’empruntai alors la longue allée pavée de pierres ordonnées dont j’avais pu lire une bribe d’histoire la veille, en préparant ma journée. Fouler ainsi ces dalles arrondies par l’usure et le temps me procurait l’impression de « déjà vu » que nous connaissons parfois dans nos rêves et qui restent pour moi de purs mystères de l’esprit, sans aucun besoin du reste, de mieux les identifier et les comprendre. Peut-être en d’autres époques avais-je déjà marché là… mais la mémoire m’en faisait défaut et je ne croyais pas en la réincarnation. Je raffolais par contre de cette sensation qui me donnait à penser que je faisais partie intégrante du monde et de son histoire. Et plus encore dans ces moments-là, j’étais arrimée à la terre dont j’avais soif de découvertes toujours ! J’eus une pensée pour l’esprit cartésien de mon frère, absorbé par ses recherches et me dit que l’entier de notre patrimoine génétique pour moi, résidait dans cette sensation. Je souris toute seule à cette reflexion qui l’aurait sans doute amusé et nous aurait inmanquablement conduits à en débattre énergiquement.
L’allée était magestueuse et je m’imaginais aisément cette longue cour pleine de pélerins, tout à leur dévotion commune absorbés.
« Avance et seras libre », dont je ne connais que le nom de l’auteur, un certain Chaddad, fut ma pensée du moment, le regard droit devant, le visage balayé par le vent et la bruine fine.
Quand au bout de l’allée j’arrivai, plongée dans cette seule pensée que j’aimais savoir me prendre l’esprit tout entier à cet instant, mon émotion me submergea totalement.
Là, devant moi l’océan… à perte de vue, de toutes parts, de tous côtés.
Magique sensation !
Le vent, si proche de l’eau, était devenu plus vif encore et me forçait presque à reculer devant ce spectacle grandiose. J’étais à la pointe, celle que j’avais tant et tant imaginée sans jamais y venir… et je me dis avec délice que mon imagination aussi riche et fertile soit-elle, n’aurait pu égaler le spectacle que j’avais sous les yeux.
La lande autour magnifiait le printemps à sa manière et je ne pus résister à l’envie d’en garder un peu… cherchant quelques herbes colorées qui, de retour sur ma terre, me permettraient à la seule vue de ces brins, de me replonger dans le grandiose du moment. Ainsi j’étais ! J’avais besoin de ces traces.
Je suis restée là un long moment, à humer et à m’imprégner !
Puis, repue de l’immédiat et assurée d’y replonger encore… je pénétrai dans cette petite chapelle de pierres sombres. La pénombre y était presque totale, les ouvertures à l’extréieur étant minuscules et la journée plutôt grise. Je laissai donc à mes yeux le temps de s’habituer à cette nouvelle clarté. L’odeur d’humide et de vieux bois m’emplit les sens… Le lieu était magnifiquement dépouillé. Je m’assis là longuement, remerciant encore et encore pour tant de beauté, tant d’émotion et tant de vivance présente à mon corps tout entier.
Sur un banc, une pierre d’ici, sombre et scintillante de je ne sais quel cristal… avait été oubliée ou abandonnée. Je pris la pierre lourde à pleine main et l’emportai avec mes trésors.
Quand je ressortis de la chapelle… je vis un panneau en bois gravé, indiquant une direction, départ d’un sentier fendant la lande, que je n’avais pas photographié en arrivant. « Km 0. Compostelle »
Tant et tant d’images traversèrent alors mon esprit… images d’histoires et de terres impregnées de sacré.
Je decidais de m’asseoir là encore quelques instants, face à l’océan qui chariait plus d’écume encore, totalement abandonnée, totalement contemplative.
Je prenais conscience que plus j’avançais dans ma vie, et plus ces moments de pleine solitude me donnaient de joie et d’energie.
Lentement, dans le paisible du présent, je repris la route, heureuse de ce qu’il m’était donné de vivre avec tellement de force et de conscience mêlées.
Zoe-Vie
Commentaires
Aube nouvelle au bout du monde, tes deux textes associés s'éclairent peut être davantage de clarté.
Si l'on regarde ta photo de deux façons différentes, en jouant sur les contrastes de la terre et de l'océan, on voit soit une crique, soit la presqu'île de Crozon.
L'image me fait penser à l'Irlande, aux traques matinales de la mordorée woodcock, de la truite et du saumon sauvage.La beauté des paysages de l'aube se trouve à la fois contrariée de migraineuses vapeurs de Guinness de la veille et sublimée du fantasme de la mythique rousse aux yeux verts à peau laiteuse, une Nicole Kidman à la voix acidulée de Dolores O'Riordan.
Encore un vieux rêve qui se bal(l)ade à tire d'elle !