Hiver 2006. Au Sénégal, c'est l'hivernage
Martine et moi, nous arrivons à notre destination. Au sortir de l'aéroport, le sol transpire de cette légère brume humide en suspension et de cette odeur tellement particulière qu'on ne sent qu'en terre africaine.
Le car nous emmène à 80 km de là. Nous longeons la petite côte, par la seule route praticable. A gauche, la brousse, les baobabs, les flamboyants, parfois un troupeau de zébus, à droite l'océan que nous perdons de temps en temps de vue, lors de la traversée des villages qui, pour certains, fourmillent d'une foule multicolore, de véhicules datant d'un autre age, de chèvres, d'étals de bananes, de pastèques, d'arachides, de bassines de toutes les couleurs, de montagnes de pneus usagés, de monticules d'objets hétéroclites qui ont, malgré leur fin de vie évidente, une nouvelle utilité, connue des plus habiles qui les achètent.
Nous arrivons la nuit tombée. Nous devinons plus que nous ne voyons, la forêt dense d'épicéas, d'eucalyptus, d'acacias, qui nous entoure. Oasis de 140 hectares, entre brousse et océan.
Après une collation et un léger diner, nous rejoignons chacune notre case. Confortable mais simple.
Au matin, petit déjeuner, en compagnie des merles métalliques, et des tisserins qui viennent chaparder des miettes sur la table.
" Martine ? Tu es prête ? Ok, en route pour Mballing. "
Mballing. Nous sommes subitement sur une autre planète. Après les moultes congratulations, les vives démonstrations de la joie des villageois à nous revoir, nous décidons de sillonner le village, d'aller saluer telle ou telle famille connue ou pas de nous.
Arrivées à proximité d'une case ou semblait régner un peu d'agitation, une femme, un grand sourire aux lèvres, nous fait signe, à grands gestes, d'entrer. Nous approchons de l'entrée, quelque peu intriguées et aussi un peu gênées de venir troubler ce qui semblait être un petit regroupement de femmes. On nous pousse presque à entrer. Nous entrons.
Tout d'abord, il nous faut quelques secondes pour nous habituer au sombre de la case, nos yeux ayant été exposés à la forte lumière extérieure. Il règne une forte chaleur. Nous apercevons des femmes debout, une femme assise au bord d'un lit, et sur le lit, une sorte de petite coque couverte d'un voile. La femme assise sur le lit rayonne, mais semble épuisée. Quelqu'un nous traduit : "vous voyez, là sur le lit, dans le petit berceau, il y a Sokna N'déyé, elle est née il y a seulement quatre jours, c'est une petite prématurée, sa maman a accouché à 7 mois de grossesse, vous voulez la voir ?"
Martine et moi échangeons un regard et nos yeux se scotchent sur la petite coquille. La maman sort le bébé de son minuscule berceau de fortune, avec mille précautions. A ce moment, elle nous tourne le dos, à genoux sur le lit. Elle se retourne doucement, la minuscule petite chose qui tient dans ses deux mains jointes. Elle la pose sur un tissu fleuri sur ses genoux. Et là, nous écarquillons nos yeux ! La première chose que nous voyons : des feuilles, puis la minuscule tête, ses petits bras comme des brindilles, ses minuscules mains. Le bébé est enveloppé dans des feuilles ! Notre traducteur lit à la fois notre grande surprise et notre émotion sur nos visages.
Je vais vous expliquer, nous dit-il. "Vous voyez ces feuilles ? Ce sont les feuilles d'un arbuste peu courant chez nous, le Paftane. C'est l'arbre de l'accouchement sans douleur. Et ses feuilles possèdent des propriétés extraordinaires. Elles donnent la force et protègent la vie. C'est pourquoi Sokna est enveloppée dans ces feuilles. Elle le sera jusqu'à ce qu'elle atteigne le neuvième mois de grossesse, et peut-être encore durant un moment, selon le degré des forces qu'elle aura reprises".
Martine et moi, nous restons muettes, nous sommes submergées à la fois par l'atmosphère de grande protection spirituelle qui règne dans la case, la minuscule vie enveloppée dans les feuilles, les visages aux yeux brillants.
Comme le veut la coutume, nous
remettons à la maman un peu d'argent, et nous quittons la case à pas feutrés.
Nous n'avons plus de mots. Nous décidons tacitement d'arrêter là nos visites, Demain ou après-demain, nous poursuivrons.
La petite Sokna N'déyé a eu 3 ans en novembre 2009. Je n'ai pas réussi à la voir. Je la verrai cette année, promis .
Le Sénégal. Sous le soleil, la vérité. Le pays ignore les sentiments coupés sur mesure, la prétention, l'emphase. Il rit de tout, et d'abord de lui-même. Il reste sincère, léger, fragile. Et mystérieux sous ses baobabs, entre ses marigots et ses griots. Le farniente y devient une aventure et la carte postale un genre philosophique. C'est que la "plus proche des destinations lointaines" est aussi la reine de tous les envoutements.
Commentaires
Très beau récit, on s'y croirait et j'adore.
En plus , j'avais pas encore lu le "Martine au Sénégal"
Beau document Françoise
magique