VEF Blog

Amour fou

Il arrive essoufflé sur la terrasse ensoleillée de ce café, légèrement en retard comme d’habitude.
Une lumière froide de fin octobre nimbe ses cheveux d’un halo doré.
Une coupe de champagne pétille devant elle.
En le voyant arriver elle se lève.
Il pose le journal et le paquet sur la table.
— Tu es déjà au champagne ? En quel honneur ?
— Notre mariage peut-être ? Tu vas bien finir par quitter ta femme non ?… Tu me l’as promis ! finit-elle avec une lippe boudeuse.
Il n’ose pas lui répondre. Elle continue avec un sourire :
— Je te taquine ! va !
Il en profite pour lui offrir le petit paquet qu’elle ouvre fiévreusement comme une gamine devant un cadeau de Noël. En découvrant les pièces de lingerie elle émet ce rire de gorge qui le rend fou, dingue… raide dingue.
Elle part alors dans un grand éclat de rire en montrant le cadeau aux voitures qui passent sur le boulevard : une magnifique petite culotte avec échancrures et dentelles.
Au bout d’un moment, calmée, elle se penche en lui présentant ce décolleté profond et si efficace et l’embrasse à pleine bouche. Lui, très gêné, rouge écarlate, tente sans résultat de la repousser en balbutiant :
— Mais on peut nous voir !
Elle finit par s’écarter en lui chuchotant à l’oreille :
— Moi aussi, je t’ai fait un cadeau, sous ma chaise, attends 5 minutes pour le regarder !
Tétanisé sur son siège, il la laisse partir en regardant à droite à gauche si la scène n’a pas eu de spectateurs indésirables. Tout semble calme.

Cette gamine le rend malade, lui mange la tête, le temps, le cerveau… Tout… Elle, il n’y a plus qu’elle au monde, il ne pense qu’à elle… Elle ! et c’est tout !!
Il prend en main la coupe de champagne à peine entamée et prends soin de placer sa bouche exactement sur les traces de rouge à lèvres pour boire comme elle, juste là où elle a bu comme pour la sentir encore, encore un peu.
Fou !

 

Comment expliquer ça aux autres. Comment dire à sa femme : « Écoute Noémie, c’est rien, une passade, juste une histoire de sexe, rien de plus ! » se justifiait-il tout en la regardant s’éloigner, les yeux rivés sur ses hanches qui roulent outrageusement dans cette robe trop courte.

Dingue !

 

Elle est belle… mais sans plus. Pourquoi tout ça ? Pourquoi cet emballement ? se demandait-il sans cesse. Il n’en revient pas de se mettre dans un tel état. Lui, le sobre et sombre directeur financier de la société de son beau-père. De son beau-père… Justement, le problème est là, il est coincé, pieds et poings liés par sa belle-famille, de la grand-mère à la petite fille en passant par le fils. On se transmet tout dans ce genre de famille, l’argenterie, la fortune et même le prénom ! Noémie ! tellement ridicule qu’on ne sait jamais si on parle de l’aïeule ou de la jeune ! mais comme la vieille était très riche, il est plus facile de porter maintenant ce genre de prénom.
Coincé !

 

Arrivée de l’autre côté de la rue, elle fait des grands gestes tout en lui envoyant des baisers du bout des doigts. D’un mouvement de la main, il lui demande d’arrêter, alors elle éclate de rire tout en disparaissant au coin du boulevard. C’est ce rire qu’il adore et qui le déstabilise tant, qui le trouble si fort ce matin encore qu’il en a… un de ces émois d’homme qui ne se montre pas en société, surtout de si bonne heure. C’est en se trémoussant sur sa chaise, en croisant les jambes afin de masquer l’ampleur de son émotion que son pied heurte quelque chose sous la table.
En se penchant il aperçoit le carton contenant son cadeau, une banale boîte avec juste un morceau d’adhésif marron mal collé pour tenir en place les rabats supérieurs. Elle était la reine des petites choses dérisoires. Une fois, elle lui avait offert des galets qu’elle avait ramassés sur la plage. Une autre, avant, c’était des bouts de bois flottés. Et là, qu’avait-elle encore trouvé ?

Dans le fond de la boîte, la tête de Noémie le regardait de ses yeux morts.

Serges-